Je me souviens du visage de Nicolas Sarkozy à l’issue de sa première rencontre avec Vladimir Poutine, le 7 juin 2007. Je m’en souviens parce que j’étais au troisième rang, dans la salle de presse réservée lors du sommet du G8 d’Heiligendamm (Allemagne) au président français, élu quelques semaines plus tôt, le 17 mai 2007, face à son adversaire socialiste Ségolène Royal. Cette présence sur place, juste devant le pupitre du locataire de l’Élysée, beaucoup de journalistes français en rêvaient.
Plus qu’un rendez-vous, une épreuve physique
Seulement voilà: le blocage, par des militants écologistes antinucléaires, de la navette entre le centre de presse et les salles de conférences, avait tout enrayé. Plus possible, pour la plupart des journalistes internationaux, de se rendre à la première prise de parole de Sarko. La grande majorité dut se contenter de la suivre sur écran, à trois kilomètres de là. Dommage. Car il fallait être sur place, ce jour-là, pour comprendre qu’entre Poutine et son homologue français, une forme d’emprise s’est vite installée.
On se souvient que Sarkozy, sortant de son entretien bilatéral, titubait légèrement. Un ouvrage paru plus tard, en décembre 2016, affirme que son interlocuteur l’aurait alors carrément menacé alors que la conversation s’enflammait sur les droits de l’homme en Russie: «Ou bien, tu continues sur ce ton et je t’écrase ou alors, tu arrêtes de parler comme ça et tu verras. Tu viens juste de devenir le président de la France, mais je peux faire de toi le roi de l’Europe», aurait-il déclaré. À l’évidence, le rendez-vous s’était transformé en redoutable épreuve physique.
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J’évoque ce souvenir du sommet du G8 d’Heiligendamm, au bord de la mer Baltique, au moment où les mots de Nicolas Sarkozy sur le président russe et sur la Russie défraient à nouveau la chronique. L’ancien chef de l’État français sort, le 22 août, son nouveau livre de mémoires «Le Temps des combats» (Ed. Fayard). Le best-seller est attendu, compte tenu du succès du précédent publié en 2020: «Le Temps des tempêtes».
Or voilà que dans cet ouvrage, Sarko reprend le rôle qu’il affectionne le plus depuis sa défaite face à François Hollande, le 6 mai 2012: celui d’oracle de la République. L’ex-président reste très influent dans son camp politique: la droite gaulliste-conservatrice. Mieux: il adore distiller ses conseils et il ne se prive pas de le dire. Il est ainsi, dit-on, écouté par Emmanuel Macron dont il soutient l’action. Et il adoube, dans le même ouvrage, une possible candidature présidentielle en 2027 d’un de ses ex-protégés: l’actuel ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Mais revenons à la Russie, sur laquelle Nicolas Sarkozy s’exprime à la fois dans son livre et dans un entretien au «Figaro» publié ce vendredi. Pour lui, l’Ukraine doit «rester neutre» et «tout retour en arrière sur la Crimée est illusoire». «Nous avons besoin des Russes et ils ont besoin de nous», poursuit l’ex-chef de l’État qui se souvient «avoir eu de profonds désaccords avec Vladimir Poutine» lorsqu’il présidait le Conseil européen et que la guerre a éclaté, durant l’été 2008, entre la Russie et la Géorgie.
Sarkozy rajoute aussi, à propos de l’Ukraine, que «Poutine a eu tort, ce qu’il a fait est grave et se traduit par un échec, mais une fois cela dit, il faut trouver une voie de sortie». Avant d’affirmer que le maître du Kremlin demeure un interlocuteur fiable: «On me dit que Vladimir Poutine n’est plus celui que j’ai connu. Je n’en suis pas convaincu. J’ai eu des dizaines de conversations avec lui. Il n’est pas irrationnel. Il faut donc prendre le risque de sortir de cette impasse, car sur ce sujet les intérêts européens ne sont pas alignés sur les intérêts américains.»
Rien de très nouveau dans le livre
Rien de très nouveau dans ces affirmations qui appuient plutôt la politique d’engagement vis-à-vis de Moscou suivie par Emmanuel Macron. Mais elles obligent tout de même à revoir la relation Sarkozy-Poutine. L’ancien président a-t-il vraiment, comme il l’affirme, su dompter son interlocuteur durant ses années de présidence? On peut se demander, en gardant en tête les images de Sarkozy sonné, à Heiligendamm, si ce n’est pas le contraire qui s’est produit.
Poutine a impressionné son interlocuteur. Il a su, d’emblée et sans doute bien renseigné, comprendre son fonctionnement. N’oublions pas que durant l’essentiel du mandat présidentiel de Sarko, Poutine n’est plus président de la Russie. De mars 2008 à mars 2012, ce poste est détenu par Dimitri Medvedev. Cette période correspond d’ailleurs à une séquence de détente entre Moscou et les pays occidentaux. En novembre 2010, Dimitri Medvedev participe même, à Lisbonne (Portugal), au sommet de l’OTAN.
L’emprise, ce n’est pas théorique...
La question de «l’emprise» exercée par Poutine sur Sarkozy n’est pas que théorique. On sait que l’ancien Premier ministre français François Fillon, qui resta à Matignon tout au long de son mandat présidentiel, est resté très proche de la Russie, même s’il a dû abandonner ses mandats de consultants depuis le début de la guerre en Ukraine. On sait aussi que Sarkozy, après avoir obtenu un cessez-le-feu en Géorgie, s’était rudement opposé au président de ce pays, Mikhaïl Saakachvili, confirmant la vente à Moscou de navires de guerre Mistral, que François Hollande renoncera à livrer en 2011, en raison (déjà) de la crise ukrainienne.
Admiration d’un politicien pour un autre? Intimidation réussie par le maître du Kremlin, ancien du KGB et fidèle aux méthodes des services de renseignement soviétiques? C’est en juin 2007, à Heiligendamm, que tout s’est en partie joué. Et depuis lors, Sarko a toujours ménagé le président russe.