Un pays divisé, littéralement fracturé en deux, ne peut pas être une bonne nouvelle. Or tel est le cas de l’Espagne sortie des urnes après les élections législatives de ce dimanche 23 juillet.
Certes, la «remontada» inattendue du Premier ministre socialiste sortant Pedro Sanchez, crédité d’un bon bilan économique depuis 2019, montre que les forces de gauche sont, dans la péninsule, tout sauf en déroute.
Le front progressiste a bien résisté à l’assaut conjugué de la droite et de l’extrême droite, au point de priver ses adversaires conservateurs et nationaux populistes de la majorité sur les 350 sièges du parlement, indispensable pour former un gouvernement.
Au point, aussi, de redonner l’espoir à ses partisans qui, dimanche soir, criaient «No pasaran» en souvenir du cri de ralliement des Républicains contre les troupes du général Franco, lors de la tragique guerre civile espagnole de 1936 à 1939.
«No pasaran» résonne dans le vide
Le problème est que ce «No pasaran» résonne dans le vide, voire attise un rejet viscéral des électeurs de l’autre Espagne: celle du Partido Popular (PP) crédité de 136 sièges de députés (soit un gain de plus de quarante élus), et celle de Vox, qui devrait pouvoir compter sur 33 sièges. Avec, en plus, la majorité absolue des sièges au Sénat, une force de blocage législative désormais décisive.
«No pasaran» contre le retour du franquisme et de la dictature en 2023? Le slogan historique a montré qu’il reste mobilisateur. Ce qui est, en soi, une nouvelle pour les voisins de l’Espagne, dont la France.
Mais il regarde terriblement vers le passé et il ne contient pas, à ce stade, les ingrédients d’une possible coalition d’avenir de la part d’une gauche, écartelée entre les nouvelles aspirations sociétales d’une partie de la jeunesse, les revendications indépendantistes toujours vives de la Catalogne ou du Pays basque, et le programme social-démocrate compatible avec les investisseurs étrangers et les aides de l’Union Européenne défendu par le PSOE, le parti socialiste.
Quelle coalition majoritaire?
La principale question posée par ce scrutin espagnol, qui promet d’aboutir sur de nouvelles élections dans les deux mois si une coalition majoritaire ne se dégage pas, est celle du positionnement de Vox, le parti d’extrême droite aujourd’hui incontournable dans le camp conservateur.
Contrairement à «Fratelli d’Italia», le parti néo-fasciste de l’actuelle Première ministre italienne Giorgia Meloni, Vox a surtout fait une campagne «contre». Contre le «lobby LGBT». Contre les migrants. Contre les politiques trop intrusives de l’Union Européenne. Contre le «sanchismo», ce terme qui désigne le supposé laisser-aller moral de la gauche incarnée par Pedro Sanchez. Contre les indépendantistes catalans ou basques. Contre la loi sur la mémoire démocratique adoptée en 2022, qui permet d’enquêter sur les violations commises pendant la guerre civile et la dictature de Franco.
Une remontada et des illusions
Par son alignement sur l’OTAN au sujet de la guerre en Ukraine, et par son offensive de charme faite aux milieux d’affaires, Giorgia Meloni a su, en Italie, rendre l’extrême droite compatible avec le pouvoir au sein d’une coalition dirigée par son parti.
L’Espagne est loin de ce scénario. Cela prouve que le glissement fatal vers la droite des grands pays européens n’est pas acquis. Mais la «remontada» sanchiste ne doit pas faire illusion.
Dans cette époque de tensions, d’incertitudes maximales et d’anxiété climatique, géopolitique et migratoire, crier «No pasaran» ne peut pas suffire si la gauche, en Espagne et ailleurs, n’est plus capable de proposer aux électeurs une alternative crédible.
Au Portugal, l'autre pays de la péninsule où le PS se maintient au pouvoir et où l'extrême droite demeure contenue, un chemin a été tracé. Ce que fera et proposera le «torero» Pedro Sanchez vaudra aussi, dans les prochaines semaines, au-delà des frontières espagnoles.