Drôle d'hommage
Dans les collèges français, «I have a dream» oublie la diversité

Belle initiative que celle du ministère français de l'Éducation nationale: s'inspirer du poème «I have a dream» de Martin Luther King pour faire exprimer leurs rêves, en anglais, par des écoliers. Sauf que devant la caméra, tous les collégiens sont blancs...
Publié: 30.08.2023 à 15:45 heures
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Dernière mise à jour: 30.08.2023 à 16:47 heures
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Le 28 août 1963, le leader des droits civiques Martin Luther King s'adresse à plus de 200 000 manifestants en faveur des droits civiques au cœur de Washington DC. Devant le Lincoln Memorial, il prononce son discours historique «I Have A Dream» (J'ai un rêve).
Photo: imago stock&people
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Richard WerlyJournaliste Blick

«Avec cette foi, nous serons capables de distinguer dans la montagne du désespoir une pierre d’espérance. Avec cette foi, nous serons capables de transformer les discordes criardes de notre nation en une superbe symphonie de fraternité…»

Ces paroles extraites du fameux discours «I have a dream» prononcé à Washington le 28 août 1963, les écoliers français ne les ont pas retenues. Ils ne les prononcent pas dans la vidéo – depuis supprimée – qui a été diffusée initialement par le ministère de l’Éducation nationale.

La justification du ministère de l’Éducation nationale après la suppression de la vidéo 

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Dommage, car le serment de Martin Luther King – assassiné le 4 avril 1968 – se retrouve, soixante ans plus tard, questionné par leur démarche. Des rêves exprimés haut et fort en anglais. Mais seulement par des collégiens blancs, en oubliant au passage la diversité et le combat acharné du pasteur américain pour les droits civiques aux États-Unis.

«Si tout le monde s’y met, nous y arriverons»

Bienvenue dans la France créative, de l’ingéniosité républicaine pour dire l’espoir de la jeunesse. Mais bienvenue aussi dans le non-dit d’une République où la lutte contre les discriminations et pour la diversité exige une vigilance de tous les instants.

D’autant que cette vidéo de collégiens s’est retrouvée, le 28 août, diffusée en pleine polémique sur l’interdiction nouvelle de l’abaya (la longue tunique portée par certaines femmes et filles musulmanes) dans les écoles.

Comment, dès lors, apprécier ce tweet et cette vidéo produite par le ministère de l’Éducation nationale supposé incarner l’espoir d’une société différente dans la langue de Shakespeare? «Je fais le rêve que, moi l’outsider, je m’élèverai un jour au rang des winners et oublierai les insultes et les surnoms qu’ils m’ont donnés dans le passé», récite, face caméra, Lilou, 14 ans. «Même si le monde semble idéaliste et semble n’être qu’un rêve, si tout le monde s’y met, nous y arriverons», poursuit Clémentine, 14 ans, elle aussi.

Où sont les enfants issus de l’immigration?

Ces collégiens seraient-ils plus ouverts, plus décidés à vaincre les discriminations que leurs aînés? Sans doute. Mais où sont les enfants issus de l’immigration? Le succès de cette courte vidéo nourrit l’ambiguïté. Plus de six millions de vues, avant la suppression! Au service de quel message?

L’originalité de la démarche, soutenue par le ministère de l’Éducation, est pourtant qu’elle est… en anglais, et en hommage à un activiste américain, dans un pays qui n’aime guère regarder de l’autre côté de l’Atlantique. Mais ce n’est à vrai dire pas nouveau. Des dizaines de collèges et lycées portent, en France, le nom du Prix Nobel de la Paix 1964, tué dans un hôtel de Memphis quatre ans après sa récompense décernée à Oslo (Norvège). Et les spectacles inspirés de son célèbre discours font presque partie du programme pédagogique.

En avril 2014, le département de la Vienne avait organisé un vaste tour de chant dans ses écoles en hommage au rêve de Martin Luther King. Plus de 1300 élèves avaient été mobilisés pour neuf concerts.

En 2022 en Bretagne, à Ploemeur, les paroles de «I have a dream» ont inspiré un projet pédagogique salué par la région. L’ancien ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye, universitaire spécialiste du fait colonial, était intervenu en 2017 à l’université de Genève, dans le cadre du festival «Histoire et Cité» pour évoquer ces deux luttes parallèles semées de drames: celle de la France républicaine et celle des droits civiques aux États-Unis.

Retrouvez l’intervention de Pap Ndiaye à Genève en 2017

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Le cas des musulmans

Étonnante France qui ne parvient pas à sortir de ses querelles sur la laïcité, dans un climat de plus en plus radicalisé vis-à-vis de l’islam, où les jeunes élèves énoncent avec le sourire leurs rêves en référence à un texte militant, ancré dans la violence de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis.

Martin Luther King haranguait il y a 60 ans la foule à Washington. Ses mots étaient ceux de la rébellion contre l’ordre ségrégationniste établi.

«Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque État, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual: 'Enfin libres, enfin libres, grâce en soit rendue au Dieu tout-puissant, nous sommes enfin libres!'»

Avec un fait marquant tout de même: à l’époque, les Musulmans n’avaient pas été cités par le pasteur baptiste. La «Nation of Islam» à laquelle appartenait Malcom X, ne prônait pas, elle, la non-violence. Son leader sera aussi assassiné le 21 février 1965 à New York. Trois ans avant que Martin Luther King ne périsse sous les balles du fanatique James Earl Rey.

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