Dmytro Kouleba est ministre des Affaires étrangères ukrainien. après presque deux ans de guerre, il revient sur les inquiétudes de son gouvernement concernant la situation difficile sur le front, mais également l'effritement du soutien à l'international. Interview.
Monsieur Dymytro Kouleba, supposons que Vladimir Poutine soit prêt à signer le traité de paix suivant: la Russie conserve les territoires qu'elle contrôle actuellement et vous devenez immédiatement membre de l'OTAN. Vous bénéficieriez ainsi de la garantie de sécurité sous l'égide de l'Organisation intergouvernementale. Pourquoi n'accepteriez-vous pas?
Il s'agit d'une discussion purement hypothétique. Je préfère discuter de choses réelles plutôt que de quelque chose qui n'est pas à l'ordre du jour. Pour ceux qui émettent des hypothèses à ce sujet, cela peut sembler être une affaire très lucrative. Mais lorsque l'on prend des décisions d'importance historique, il faut garder à l'esprit que l'on n'est pas seulement responsable de ses contemporains, mais aussi des générations futures d'Ukrainiens. Et il sera très difficile, voire impossible, d'expliquer pourquoi nous avons cédé du territoire ukrainien aux Russes. Bien sûr, toute personne raisonnable souhaite que ce cauchemar prenne fin le plus rapidement possible. Nous voulons tous mener une vie normale. Mais l'accord que vous venez de décrire reviendrait en fait à légitimer tous les crimes que la Russie a commis.
La Chine est-elle intéressée par la poursuite de cette guerre?
La Chine n'est pas intéressée par une victoire de la Russie en Ukraine. Parallèlement, la Chine n'est pas non plus intéressée par une défaite totale de la Russie. C'est un équilibre. La Chine attend le moment où les conditions lui permettront de jouer le rôle de faiseur de paix. Nous offrons déjà une telle opportunité, à savoir la formule de paix proposée par notre président Volodymyr Zelensky. Nous nous réjouissons de la participation de la Chine à ces efforts diplomatiques et pensons qu'il est important de l'avoir à bord.
Que signifierait une victoire de Trump pour l'Ukraine?
L'année 2024 sera cahoteuse pour nous en raison d'élections incertaines aux États-Unis. La tentation de certaines forces américaines d'intégrer l'Ukraine dans l'agenda de politique intérieure des États-Unis est trop forte. D'une part, il est évident que le soutien à l'Ukraine dans sa lutte contre l'agression russe fait partie de l'héritage du président Biden et des deux partis, démocrates et républicains. Quand on se présente à des élections, on dit certaines choses et on fait certaines choses. Quand on gagne effectivement et que l'on devient une autorité, cela devient plus compliqué parce que l'on est entouré de forces et d'acteurs très différents.
Quand vous voyez des images et des vidéos du front, la colère doit monter en vous. Comment gérez-vous cela?
Je me dis que la meilleure façon d'honorer nos soldats qui souffrent ou qui sont morts, c'est de gagner cette guerre. Si nous gagnons, ils n'auront pas perdu leurs mains, leurs bras, leurs jambes en vain. Leur vie n'aura pas été brisée en vain. Ils ne seront pas morts en vain. Chaque victime nous oblige à tout faire pour que l'Ukraine gagne cette guerre. Alors, je me répète cette phrase, je me ressaisis et je continue à travailler.
Comment gardez-vous votre énergie? Vous travaillez sans relâche depuis près de deux ans.
Enfants, chiens et vitamines. (Il sourit et sort de sa poche un paquet de vitamines qu'il tend à la caméra).
Supposons que vous gagniez la guerre. Vous repoussez la Russie jusqu'aux frontières de 1991. Ce territoire libéré sera-t-il encore habitable, vu le nombre de mines terrestres?
Il faudra du temps pour le rendre à nouveau habitable. Débarrasser cette région des mines sera probablement la plus grande opération de déminage de l'histoire.
La guerre pourrait se poursuivre tant que Vladimir Poutine reste au pouvoir. Vous faites sauter des ponts et des aéroports au fin fond de la Russie. Pourquoi n'avez-vous pas réussi à éliminer Vladimir Poutine?
C'est une bonne question...
Quel est l'impact de la guerre en Israël sur l'Ukraine?
J'aurais aimé que la guerre en Israël n'ait jamais eu lieu et n'ait pas fait autant de victimes des deux côtés. Nous avons définitivement perdu quelques places à la une des médias. Pourtant, je n'ai pas le sentiment que nous ayons perdu notre place sur la liste des priorités les plus importantes dans le monde. Malheureusement, l'être humain a cette caractéristique: il s'habitue à tout. C'est ainsi que les gens se sont habitués à la guerre en Ukraine. Les gens s'habitueront également à la guerre au Proche-Orient si elle se prolonge. Et il y aura de nouvelles crises, de nouvelles guerres, qui chasseront les guerres et les conflits précédents de la une des journaux. C'est ainsi que l'humain fonctionne. Ma tâche, et celle de toute l'équipe du président Zelensky, est de gagner cette guerre, et c'est ce sur quoi nous nous concentrons.
*Rolf Dobelli est écrivain et fondateur de World.Minds, une communauté de leaders mondiaux dans les domaines de la science, de l'économie et de la géopolitique. Il vit à Berne.
