Maros Sefcovic sait ce qu’une négociation compliquée et difficile veut dire. La preuve? Pendant cinq ans, au sein de la précédente Commission européenne, le slovaque de 58 ans a mené les pourparlers avec la Suisse, achevés avec la conclusion de l’accord sur les Bilatérales III, signé à Berne le 20 décembre 2024!
Cette fois, l’enjeu n’a rien à voir. Il est de taille XXL. Arrivé à Washington dans la nuit de dimanche à lundi, le commissaire européen au commerce doit entamer les négociations avec l’administration Trump pour éviter le bombardement douanier contre l’Union européenne (UE) annoncé le 2 avril par le président des Etats-Unis (10% de taxes supplémentaires déjà entrées en vigueur et 20% prévues si un accord n’est pas trouvé d’ici 90 jours).
Attention aux déconvenues: en février, sa première visite à Washington avait échoué. Maros Sefcovic était reparti bredouille. Mais aujourd’hui, il dispose de 5 atouts.
Atout n° 1: l’UE en ordre de bataille
L’écho médiatique peut donner une impression inverse, d’autant que la Première ministre italienne Giorgia Meloni sera reçue seule, le 17 avril, à la Maison Blanche par Donald Trump. La réalité est en revanche différente. La Commission européenne a, par les traités, le monopole de la négociation commerciale pour les 27 Etats-membres.
Ces derniers ont par ailleurs adopté à l’unanimité mercredi 9 avril des droits de douane de 25% sur un large éventail de produits américains, notamment les amandes, le jus d’orange, la volaille, le soja, l’acier et l’aluminium, le tabac et les yachts, en représailles aux droits de douane de 25% imposés par les Etats-Unis sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance de l’UE.
Atout n° 2: l’Europe attire les investisseurs
C’est une conséquence directe de l’instabilité des marchés financiers engendrée par les annonces douanières de Trump, et le début de panique à Wall Street dans la foulée du 2 avril. Les capitaux américains cherchent une destination plus favorable et le flux d’investissement actuel est favorable à l’Europe.
Rien qu’en mars, plus de 250 milliards de dollars supplémentaires en provenance des Etats-Unis ont afflué vers les fonds ETF qui reproduisent les index boursiers européens, selon Bloomberg. Or l’Europe a besoin de beaucoup d’argent pour rattraper son retard sur les Etats-Unis et la recherche: il lui faut 800 milliards d’euros par an d’investissement, selon le récent rapport Draghi.
Atout n° 3: la Chine courtise Bruxelles
Donald Trump a un adversaire dans son viseur: la Chine. Or celle-ci lui résiste et a promis de riposter «jusqu’au bout» sur le plan commercial. Et plus préoccupant: le pouvoir de Xi Jinping a aussitôt entamé une contre-offensive géopolitique et commerciale pour s’attirer des alliés.
Cette semaine, le président chinois visite le Vietnam, le Cambodge et la Malaisie. Et côté européen, la Chine fait les yeux doux à Bruxelles. Lors d’une rencontre avec le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, le 11 avril à Pékin, le président chinois Xi Jinping a appelé l’Union européenne à «résister ensemble». Un sommet Chine-UE aura lieu en juillet. Si Donald Trump veut empêcher ce rapprochement, il doit agir.
Atout n° 4: le moteur allemand repart
On connaît la fragilité de l’Union européenne face aux Etats-Unis: l’industrie automobile allemande. Les voitures allemandes – que déteste Donald Trump – s’exportent bien outre-Atlantique où les constructeurs allemands produisent, dans leurs usines, environ 850'000 véhicules par an, dont 250'000 destinés à être réexportés vers l’Europe.
Or la future coalition gouvernementale dirigée par le chancelier Friedrich Merz vient d’annoncer un méga-plan de relance à 500 milliards d’euros. Les vannes de l’investissement sont ouvertes, grâce à l’abandon du frein constitutionnel à l’endettement voté le 18 mars. Au total, entre 1000 et 1500 milliards d’euros pourraient être injectés dans l’économie allemande au cours de la prochaine décennie. Un poumon économique pour les industriels européens.
Atout n° 5: le «Made in USA» boycotté
Maros Sefcovic ne présentera sûrement pas cette menace dans ses discussions avec Howard Lutnick et Jamieson Greer, les deux plus hauts responsables américains pour le commerce. Mais plus les annonces de taxes douanières sont fracassantes, plus les consommateurs européens en prennent acte.
En France, où l’antiaméricanisme est une vieille tradition, l’appel au boycott des produits «Made in USA» a vite rassemblé 50'000 internautes sur Facebook. Depuis le début de l’année, les ventes de Tesla, les voitures électriques d’Elon Musk, ont chuté d’environ 62% en Allemagne, 55% en Suède et au Danemark, près de 50% aux Pays-Bas et 41% en France. Attention, danger?