Ursula von der Leyen y croit. Et elle compte bien défendre son plan lors de la réunion des ministres de l’Economie et des Finances des 27 pays membres de l’Union européenne (UE) en Pologne, ce vendredi. Une réunion à laquelle participera la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, dont l’appel téléphonique à Donald Trump a, selon les médias américains, joué un rôle décisif dans sa décision de reporter de 90 jours l’entrée en vigueur des hausses brutales de tarifs douaniers.
Le plan de la présidente de la Commission européenne? Ni plus ni moins la création d’une zone de libre-échange atlantique, entre les Etats-Unis et l’UE. Plus de tarifs douaniers! Basta! Zéro droits de douane sur les produits industriels! C'est ce que va défendre le commissaire européen au commerce, Maros Sefcovic, attendu à Washington lundi pour échanger avec l'administration Trump.
Trump n’en veut pas
Donald Trump a, jusque-là, repoussé cette proposition. Inacceptable pour le président des Etats-Unis, qui reproche notamment aux Européens une barrière tarifaire non douanière, mais considérable: la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui renchérit le prix des importations étrangères dès qu’elles touchent le sol du Vieux Continent. Il a tout de même salué la décision de l'UE de suspendre ses mesures de rétorsion durant une durée de 90 jours.
Pour le protectionniste Trump, bien décidé à démolir la mondialisation lorsqu’elle ne profite pas à son pays, le libre-échange n’est pas une option s’il est faussé par des taxes que les Etats-Unis n’appliquent pas (il n’y a pas de taxe fédérale sur les ventes, chaque État y établit ses propres règles). Or pourtant, von der Leyen y croit. Et elle n’est pas la seule.
La première raison pour laquelle une zone de libre-échange atlantique aurait du sens est qu’elle lierait davantage ces deux marchés sur lesquelles résident, dans les faits, la puissance occidentale en matière de recherche et d’innovation. 350 millions de consommateurs du côté des Etats-Unis (plus les 40 millions de Canadiens). 450 millions côté européen.
Soit 800 millions de clients, représentant 45,5% du PIB mondial, pour amortir les coûts de production industriels et rivaliser avec la Chine. Pas étonnant que l’idée d’un traité de libre-échange transatlantique soit sur la table depuis 2016, et que les 27 Etats membres de l’Union aient autorisé la Commission à le défendre depuis 2019.
Argument stratégique
La seconde raison est stratégique. C’est l’argument qu’Ursula von der Leyen – que Donald Trump refuse obstinément de recevoir à Washington – veut maintenant faire valoir avec le soutien du secrétaire général de l’OTAN (l’Alliance atlantique) Mark Rutte. Quelle meilleure manière d’éviter la mise en place de taxes douanières européennes sur les services, et en particulier sur les géants de l’Internet, qu’un accord de libre-échange transatlantique?
L’Union européenne affichait en 2024, rappelons-le, un excédent commercial de 48 milliards d’euros pour les biens et les services avec les États-Unis. Cet excédent s’élevait en revanche à 156 milliards d’euros pour les produits industriels. La tentation est donc à la fois grande et logique, pour compenser l’augmentation de 30% des tarifs douaniers américains (20% en suspens, 10% applicables dès cette semaine) sur les produits européens, de riposter sur les services numériques. Ursula von der Leyen vient d'évoquer dans le Financial Times, en cas de non-accord, une taxe européenne sur les Big Tech. Ce qui déclenchera à coup sûr la colère de Trump, pour l'heure apaisé par la décision de Bruxelles de ne pas précipiter les choses.
Coalition face à la Chine
Troisième raison, la coalition occidentale face à la Chine. C’est un des sujets que la Première ministre italienne Giorgia Meloni compte défendre lorsqu’elle sera reçue à la Maison Blanche par Donald Trump le 17 avril. Si Pékin est vraiment dans le viseur de Washington – ce que confirme l’escalade des tarifs douaniers entre les deux capitales, avec la nouvelle annonce de 145% de taxes américaines sur les produits chinois – alors mieux vaut conjuguer les efforts des deux côtés de l’Atlantique.
Exemple type de produits industriels qui bénéficierait d’une telle approche «zéro tarif»? Les Tesla électriques d’Elon Musk. Elles se retrouveraient avantagées, sans droits de douane, par apport à leurs concurrentes chinoises. L’Union européenne, en échange d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, enclencherait en plus la mise en œuvre de sa taxe carbone aux frontières sur les produits «Made in China» et plus généralement «Made in Asia». Une aubaine pour les exportateurs américains. Le scénario inverse ? Un rapprochement commercial entre la Chine et l'UE, dévastateur pour tout ce qui est «Made in America».
Pour l’heure, c’est l’escalade
Pour le moment, la réalité est bien éloignée de ce plan européen «zéro tarifs». Mercredi 9 avril, les 27 Etats membres de l’UE ont approuvé des droits de douane de 25% sur un large éventail de produits américains, notamment les amandes, le jus d’orange, la volaille, le soja, l’acier et l’aluminium, le tabac et les yachts, en représailles aux 25% imposés par les États-Unis sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance de l’UE.
Mais Donald Trump peut-il mener une guerre commerciale sur deux fronts, avec l’Europe et avec la Chine? «Il va avoir besoin d’alliés si Pékin ne cède pas, c’est une chance pour l’UE» juge-t-on à Bruxelles où les négociations commerciales sont menées par un Commissaire bien connu en Suisse, le Slovaque Maros Sefcovic.
La Suisse justement. Pas sûr du tout que ce plan européen «zéro tarifs» lui convienne. La Confédération n’est pas en Union douanière avec l’UE. Son accès élargi au marché européen va dépendre de l’approbation ou non, par le peuple, des futurs accords bilatéraux signés fin 2024.
La tentation helvétique naturelle est plutôt de négocier en solo avec Washington, comme l’a fait semble-t-il avec succès Karin Keller-Sutter au téléphone, après le choc des 31% des tarifs douaniers annoncés le 2 avril par Trump.