Le coup de fil de 25 minutes entre Donald Trump et Karin Keller-Sutter dans l'après-midi du mercredi 9 avril aurait-il fait pencher la balance pour le monde entier? C'est en tout cas ce que laisse entendre le «Washington Post». Le célèbre journal américain souligne l'importance de cet appel entre le président américain et la présidente de la Confédération dans le recul surprise sur les droits de douane quelques heures plus tard.
Officiellement, Donald Trump affirme avoir songé à changer de cap «depuis plusieurs jours». Mais il reconnaît que la décision finale a été prise le matin du 9 avril. Or, c’est précisément à 9h à Washington (15h en Suisse) que l’appel avec Karin Keller-Sutter a eu lieu. Pour le «Washington Post», les 18 heures précédant l’annonce ont été déterminantes: la pression était maximale, venant de ses conseillers, d’élus républicains… et de dirigeants étrangers. Et parmi ces derniers, une seule personnalité est citée nommément: Karin Keller-Sutter.
Rolex et chocolat
Pour illustrer l’impact de cette guerre commerciale sur la Suisse, le journal américain n'hésite pas à jouer sur les clichés: «Les montres Rolex et les chocolats ont été frappés d’un droit de douane de 31 % dans la nuit.» Une mesure jugée injuste par Berne. Au téléphone, la présidente de la Confédération aurait alors pressé Donald Trump de revenir sur ces droits de douanes qui frappait durement l'économie suisse.
Selon un porte-parole du Département fédéral des finances, Karin Keller-Sutter a rappelé le rôle central des entreprises suisses dans la création d’emplois aux Etats-Unis. Elle a aussi souligné que la Suisse avait, l’an dernier, supprimé ses propres droits de douane sur les produits industriels américains.
La Suisse un acteur-clé
Le «New York Times» rappelle, de son côté, que la Suisse, bien que petite, est un acteur de premier plan pour l'économie américaine. Elle se place au 6e rang des investisseurs étrangers aux Etats-Unis, et est première en matière d’investissements en recherche et développement, notamment grâce aux géants pharmaceutiques tels que Roche et Novartis.
KKS, mais pas seule
Si cet échange a sans doute compté, Karin Keller-Sutter n’a pas été la seule à faire pression sur le président américain. Dans son propre camp, les voix critiques se sont multipliées depuis plusieurs jours. Et mardi soir, Trump s’est entretenu avec un groupe de Républicains inquiets. Mercredi matin, il a reçu John Thune, chef de la majorité au Sénat. Une heure avant son appel avec la présidente suisse, il visionnait une interview du patron de JPMorgan sur Fox News, alertant sur une possible récession.
Le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, a également échangé avec le commissaire européen Maros Sefcovic. L’Union européenne préparait des contre-mesures ciblant les bastions électoraux de Trump. Une menace d’autant plus sérieuse qu’elle reste le principal marché pour les biens et services américains.
A midi, Trump convoque Howard Lutnick et Scott Bessent, secrétaire au Trésor, dans le Bureau ovale. Ensemble, ils rédigent le texte officialisant un répit de 90 jours pour l’économie mondiale - sauf la Chine.
Oui, la pression montait, à la fois au sein des rangs républicains et sur la scène internationale. Mais l’appel entre Donald Trump et Karin Keller-Sutter, survenu alors que la planète retenait son souffle, montre qu’au cœur de la tourmente, même une «petite» Suisse de neuf millions d’habitants peut faire entendre sa voix, jusque dans l’oreille des plus puissants.