Un député sortant habitué à défrayer la chronique, qui «jure de briser la loi du silence pour démasquer les harceleurs», juste avant que les urnes ne parlent. Une ancienne ministre de la justice sous le quinquennat Sarkozy qui accuse de harcèlement, à quelques jours des législatives, l’ex-président du groupe de députés «La République en marche».
Un nouveau candidat macroniste pour la 6e circonscription des Français de l’étranger de Suisse et au Liechtenstein, proche du président Français, qui se retrouve pris dans le tumulte venu de Paris.
Bienvenue dans ce que la politique française produit malheureusement assez souvent, surtout en campagne électorale: scandale, accusations de complot et électeurs pris en otage à l’approche d’un scrutin clé.
Joachim Son-Forget, de nouveau au cœur d’une affaire
Le député qui a choisi de s’exprimer vendredi 3 juin pour «que la vérité éclate enfin», avant la trève électorale exigée pour les élections françaises à 24 heures du premier tour, est Joachim Son-Forget, brillamment élu en 2017 député «La République en Marche» des Français de Suisse et du Liechtenstein. Le nom de ce radiologue de 39 ans, spécialiste en neuroimagerie médicale, enfant adopté d’origine coréenne et considéré il y a cinq ans comme un protégé d’Emmanuel Macron, est depuis devenu synonyme de trouble-fête et de parcours politique erratique.
En rupture avec le mouvement pro-Macron depuis la fin 2018, après avoir postulé à la direction de «La République en marche» (LREM), l’intéressé a un temps rallié le groupe centriste UDI à l’Assemblée nationale, puis il s’est rapproché d’Eric Zemmour avant de s’en séparer, affirme-t-il, à cause des penchants pro-russes de celui-ci.
C’est donc en indépendant qu’il se présente cette fois, devant les 148’000 électeurs français de la circonscription. Avec 18 autres candidats face à lui, dont celui investi par «Renaissance» (le nouveau nom du parti macronien): Marc Ferracci, économiste très proche du chef de l’Etat et ancien conseiller ministériel spécialisé sur le marché du travail.
Le rôle de Rachida Dati
L’affaire qui secoue de nouveau par ricochet la circonscription Suisse-Liechtenstein, à la veille du premier tour ce dimanche 5 juin (les électeurs de France voteront eux le 12 juin), vient toutefois de Paris et de… Rachida Dati. Selon «Le Canard enchaîné» et «Le Parisien», l’ancienne Garde des sceaux de Nicolas Sarkozy, actuelle maire du VIIe arrondissement de Paris aurait transmis à la police des informations sur des comportements inadéquats envers une collaboratrice de Gilles Le Gendre, ex-patron des députés LREM, candidat à sa propre succession dans la 2e circonscription de Paris (le quartier saint-germain), et sur les comportements de deux autres députés.
L’élu mis en cause a aussitôt nié et annoncé qu’il allait porter plainte pour «dénonciation calomnieuse». Or ce duel expliqué par certains en raison de l’intensité de la bataille politique parisienne résonne… de ce coté-ci de la frontière.
«La vérité doit enfin éclater»
Selon l’hebdomadaire satirique français, Rachida Dati s’est en effet appuyée, pour accuser, sur des messages émis par l’élu d’Helvétie Joachim Son-Forget. Parmi ses propos figurent ceux-ci, postés sur Facebook: «La vérité doit enfin éclater. Elle a été étouffée en donnant des postes à ceux qui devaient se taire et en changeant le chef de file des députés en marche. Je connais tous les détails. J’ai des noms et des témoins. Aucun journaliste n’a repris mes déclarations dans la presse écrite à chaque fois que j’ai tenté de le dénoncer».
«J’étais bien au courant des accusations de harcèlement sexuel»
Rencontré par Blick à Paris vendredi, le député sortant des Français de Suisse confirme et corrige à la fois: «J’étais bien au courant des accusations de harcèlement sexuel et moral portées contre Gilles Le Gendre et j’ai demandé à l’époque une intervention au plus haut niveau pour que cela cesse. Mais rien n’est venu. L’omerta partisane l’a emporté».
L’élu nous montre, sur son téléphone portable, des captures d’écran d’échanges intervenus fin 2018 entre plusieurs députés de la majorité, tous perturbés alors par ces rumeurs. Il y est clairement fait référence à une affaire de harcèlement dont une collaboratrice de l’ex-chef du groupe parlementaire LREM (septembre 2018-septembre 2020) aurait été victime.
Alors? «Je ne sais pas pourquoi Rachida Dati a décidé de passer à l’offensive ajoute-t-il. Mais je ne peux pas la laisser seule au front. J’ai eu connaissance de ces allégations. Je les ai dénoncées et j’ai transmis à qui de droit. Personne ne m’a entendu et, pire, j’ai été poussé hors du parti. Voilà la vérité…»
«J’ai agi de bonne foi et j’en ai terriblement souffert»
Certains des messages montrés à Blick par Joachim Son-Forget indiquent que beaucoup de responsables du camp Macron étaient au courant. «Les informations que je détenais et que j’avais transmises sont réelles, plaide-t-il. J’ai agi de bonne foi et j’en ai terriblement souffert. J’ai reçu l’information du petit ami de la présumée victime, proche de moi et je suis convaincu que ces informations sont à l’origine de mon départ du parti en décembre 2018.» Remise en contexte: il avait insulté une sénatrice écologiste, Esther Benbassa à propos de son maquillage, et obtenu 18% des voix un mois plus tôt lors de sa candidature à la direction de «En Marche».
«C’est la raison pour laquelle je n’ai pas accepté qu’on me passe en commission de discipline pour suspicion de sexisme», assure-t-il. Gilles le Gendre avait alors remis à place le député de Suisse en ces termes: «Aucune controverse politique ne justifie de verser dans le sexisme et la vulgarité.» Quatre ans plus tard, Son-Forget ne l’accepte toujours pas: «D’autres cadres du parti étaient à ce moment soupçonnés de bien pire. Moi, j’avais parlé de 'pot de maquillage'. Eux, ils harcelaient».
Et les électeurs français de Suisse, dans tout cela? Joachim Son-Forget estime logique, alors que la campagne électorale touche à sa fin, d’interroger sur cette affaire de harcèlement le candidat Marc Ferracci. «Mes déclarations et mon refus de la loi du silence n’ont rien à voir avec son investiture et sa campagne, jure-t-il. Je veux juste lui poser une question, compte tenu de sa proximité connue et revendiquée avec Emmanuel Macron, de sa connaissance de nombreux dirigeants du parti présidentiel et du fait que son épouse a exercé des responsabilités au sein d’'En Marche'. A-t-il eu connaissance des accusations portées en 2018 contre Gilles Le Gendre et deux autres députés? Son épouse savait-elle quelque chose? J’interroge. C’est tout».
Marc Ferracci réagit vivement
Immédiatement contacté par Blick dans la foulée ce vendredi alors qu’il tenait une ultime réunion publique à Genève, le candidat pro-Macron — souvent donné favori vu le score du Chef de l’Etat sortant à la présidentielle parmi les Français de Suisse (82,6% au second tour) — se montre offensé et furieux d’être associé à ces allégations, dont il nie «avec la plus grande vigueur» avoir eu connaissance.
«Je ne suis concerné ni de près ni de loin par cette polémique que j’ai découverte dans la presse ces derniers jours. Je ne répondrai donc pas aux interpellations assez pathétiques de Joachim Son-Forget. Ma femme n’a par ailleurs pas exercé des responsabilités à 'En Marche'. Il est facile de vérifier que ce n’est pas le cas. Elle a simplement participé à la première campagne du candidat Macron, campagne qui s’est achevée avant les législatives de 2017».
L’ombre d’un règlement de comptes
La bombe déclenchée à Paris par Rachida Dati est-elle un règlement de comptes politique? Possible. L’ex ministre sarkozyste soutient l’un des adversaires de Gilles Le Gendre dans sa circonscription proche de son VIIe arrondissement.
Coté Suisse, rien ne permet, par ailleurs, de lier Marc Ferracci à cette affaire. D’autant que le candidat a toujours distingué, y compris dans les colonnes de Blick, ses relations personnelles avec Emmanuel Macron et son expérience dans les cabinets ministériels qui l’ont amené à se pencher sur l’expérience helvétique en matière de marché du travail, et se familiariser avec la Confédération qu’il n’a cessé de sillonner ces jours-ci. Il a d’ailleurs reçu à Zurich, le 2 juin, le soutien de l’ancien ministre en charge des Français de l’étranger, Jean-Baptiste Lemoyne.
Son-Forget accusé de vouloir nuire à «En Marche»
Un ancien ministre d’Emmanuel Macron, contacté par Blick vendredi, vole aussi à son secours en rappelant que Joachim Son-Forget a fait partie, début 2020, des premiers internautes à relayer une vidéo intime de l’ex porte-parole du gouvernement français Benjamin Griveaux, même s’il n’a jamais été convoqué par la justice dans la procédure intentée contre l’homme à l’origine du scandale: l’artiste contestataire russe Piotr Pavlenski.
Cette affaire a ruiné la carrière du politicien. «Il y a chez lui une volonté de nuire à 'En Marche'. Ne l’oubliez pas au moment d’écrire votre article! Pourquoi interpeller Marc Ferracci qui, lui, sera capable de défendre les Français de Suisse s’il est élu? C’est ridicule», s’énerve cet ex-membre du gouvernement.
«Je ne supporte pas les harceleurs, c’est comme ça»
Joachim Son-Forget accuse le coup. Il dit, au regard de sa propre histoire, «savoir ce qu’être une victime veut dire». Il lâche: «Je ne supporte pas l’indifférence envers les harceleurs, c’est comme ça. Or dans cette affaire, 'En marche' devrait au minimum enquêter en son sein.» Impossible à ce stade de démêler l’écheveau. La justice française, si elle est saisie, devra le faire, en sachant que la période électorale est toujours propice aux rumeurs et aux coups bas.
A la mi-mai, l’un des candidats emblématiques de la France Insoumise (gauche radicale) Taha Bouhafs, a dû renoncer après avoir été accusé de violences sexuelles. Malgré une enquête interne, le parti mélenchoniste s’est retrouvé dans le viseur des médias et du camp présidentiel. Le député sortant de l’Ain Damien Abad, transfuge des «Républicains (droite) devenu ministre des solidarités, est l’objet d’accusations de viols que la justice n’a pas jugé suffisantes pour ouvrir une enquête, «faute d’élément permettant d’identifier la victime des faits dénoncés». La nouvelle première ministre Elizabeth Borne lui a maintenu sa confiance.
«Vous engagez-vous à dénoncer de tels faits?»
A quelques jours de l’expiration de son mandat, avant que les urnes parlent les 5 et 19 juin, Joachim Son-Forget sait donc qu’il pourrait payer cher le prix de fausses accusations. Il tient néanmoins à répéter sa question, adressée à la veille du scrutin à tous les candidats et aux futurs élus du parti présidentiel français: «Si de tels faits sont portés à votre connaissance, vous engagez-vous à les signaler et à les dénoncer?» Il attend les réponses. Et de montrer, pour conclure, le tatouage qu’il a ramené de son récent voyage controversé en Ukraine: un cocktail molotov, mèche prête à être allumée.