Il faut avoir côtoyé Damien Abad dans les couloirs du Palais Bourbon ou à la sortie d’un plateau de télévision pour comprendre ce que signifie le handicap du tout nouveau ministre français des solidarités. Député sortant de la 5e circonscription de l’Ain, qui englobe les communes françaises d’Ambérieu en Bugey, Nantua et une partie d’Oyonnax, des territoires électoraux frontaliers de la Suisse, l’ex-président du groupe «Les Républicains» (Droite) à l’Assemblée nationale, âgé de 42 ans, est depuis son enfance victime d’arthrogrypose.
Cette maladie qui paralyse ses articulations et le contraint à marcher avec difficulté, tandis que la grave malformation à son bras droit limite ses mouvements, l’obligeant à des contorsions permanentes qui rendent immédiatement humbles ses interlocuteurs. Il est la première personnalité politique française de premier plan à avoir accédé au sommet du pouvoir avec un tel handicap.
Plaintes révélées par Mediapart
Parler d’emblée de son physique qui le distingue naturellement des autres élus s’impose, alors que les plaintes portées contre Damien Abad pour viol par deux femmes viennent d’être révélées par Mediapart. Selon le site d’information, l’élu de l’Ain aurait en 2010 et 2011, commis envers ces femmes des actes de violences sexuelles. Et l’une d’entre elles l’accuse même de l’avoir droguée.
L’intéressé a aussitôt nié, affirmant que «les relations sexuelles qu’il a pu avoir ont toujours reposé sur le principe du consentement mutuel» et qu’il est «dans l’impossibilité physique d’avoir commis les actes décrits». Il est désormais confirmé que des plaintes contre lui ont bel et bien été déposées mais qu’elles ont été classées sans suite en 2017. Elles auraient été signalées en vain au parti présidentiel avant sa nomination.
La question du handicap
Les accusatrices réfutent l’argument de son handicap. Au contraire. «Je suis maintenant persuadée qu’il l’utilise pour inspirer de la pitié et qu’il était parfaitement conscient de ne pas respecter mon consentement», a expliqué l’une d’entre elles aux enquêteurs. «J’aurais viré n’importe qui mais Damien avait un handicap et je ne souhaitais pas le blesser», poursuit-elle dans les colonnes de Mediapart.
L’autre accusatrice va plus loin: «Je ne l’ai jamais trop remballé, rembarré ou brusqué, y compris le lendemain des faits, parce qu’on ne fait pas ça avec une personne avec un handicap».
La France voisine le soutient
Dans le département de l’Ain où Damien Abad s’est implanté avec succès depuis son premier parachutage électoral en 2012 (il n’est pas originaire de la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais du sud de la France), on n'y croit pas. L’élu y est connu pour sa mainmise politique solide sur la circonscription où il se représente aux législatives des 12 et 19 juin, et il n’y a jamais été mis en cause pour des faits de harcèlement ou de violence sexuelle.
«C’est un parlementaire habile qui a su se faire apprécier des populations rurales de ce département. Il est à l’écoute. C’est un député à l’ancienne qui cherche des solutions pour ses administrés», confirme un de ses anciens collègues du parti «Les Républicains».
Aucune affaire de ce type ou rumeur, n’a par ailleurs filtré ces dix dernières années dans «Le Dauphiné Libéré», le quotidien régional. Damien Abad, qui reconnaît avoir, à l’époque des faits qui lui sont reprochés, envoyés des SMS «parfois intimes, parfois tardifs», est d’ailleurs donné favori avant le scrutin du 12 et 19 juin prochain.
Une grosse prise politique
Le maintien de Damien Abad dans le premier gouvernement du second mandat d’Emmanuel Macron est désormais en question. Considéré comme la principale «prise politique» du président français dans le camp conservateur, l’élu de l’Ain devra en effet, dès le premier conseil des ministres français ce lundi, se confronter à la Cheffe du gouvernement Élisabeth Borne pour laquelle «il ne peut y avoir aucune impunité sur tous ces sujets de harcèlement et d’agressions sexuelles». La France n’avait connu, avant elle, qu’une seule femme Première ministre, la socialiste Édith Cresson, en 1992-1993.
Un autre ministre français de premier plan, Gérald Darmanin (Intérieur) a fait l’objet de plaintes pour violences sexuelles. Les poursuites contre lui ayant été en partie abandonnées, il a conservé ses portefeuilles ministériels tout au long du premier quinquennat, et la confiance du Chef de l’Etat qui l’a maintenu à la tête de la police. L’ancien ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, démissionnaire du gouvernement en août 2018, est aussi visé par des accusations de viol. Tout comme l’ancienne vedette de la télévision Patrick Poivre d'Arvor. Un «collectif contre les violences sexuelles et sexistes en politique» s’est créé en France, dans la foulée de la vague #metoo.
Des faits survenus de 2009 à 2011
Point important: les faits cités par les plaignantes remontent à 2009, 2010 et 2011, avant le débarquement électoral de Damien Abad en France voisine pour s’y présenter avec succès à la députation. Ses comportements problématiques se seraient d’ailleurs déroulés à Paris. «Dites bien qu’on lui garde notre confiance. On ne le lâche pas» nous répète au téléphone un élu municipal de Nantua, pour lequel «cette affaire sent le règlement de compte politique après son départ des Républicains».
Difficile dans tous les cas d’échapper à la tourmente pour le nouveau ministre français. Lui qui compte en théorie dans son portefeuille des «solidarités», aussi bien les questions de handicap que… celles des violences faites aux femmes.