Bruno Le Maire et Gérald Darmanin sont donc incontournables. Tous deux venus de la droite et ralliés à Emmanuel Macron dès 2017, les ministres sortants des Finances et de l’Intérieur conservent leurs responsabilités dans le nouveau gouvernement français, qui vient d’être dévoilé vendredi.
Deux reconductions très significatives alors que le chef de l’État, réélu le 24 avril avec 58,5% des voix, a nommé Première ministre Élisabeth Borne, une technocrate discrète mais pugnace de 61 ans venue de la gauche. Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, ex-avocat vedette, est aussi reconduit. Le premier conseil des ministres de ce nouveau gouvernement aura lieu ce lundi.
La plus grosse surprise de ce nouveau gouvernement est la nomination de l’historien Pap Ndiaye, 56 ans, à l’Éducation nationale. D’origine sénégalaise, positionné à gauche, pur produit de la méritocratie républicaine, ce familier des médias, spécialiste de l'immigration et frère de la romancière Marie Ndiaye (Prix Goncourt 2009), fait son irruption en politique à la tête du ministère souvent considéré comme le plus difficile, avec ses 900'000 enseignants à gérer. Son prédécesseur Jean-Michel Blanquer, très proche d’Emmanuel Macron et fin connaisseur de l’Éducation nationale, avait fini par se mettre à dos les professeurs par l’accumulation de réformes mal comprises et jugées peu efficaces.
Autre femme d’influence
Une autre femme d’influence apparaît en tête de la liste des ministres: la diplomate Catherine Colonna, qui pilotera les Affaires étrangères, ce domaine traditionnellement réservé du président de la République.
Sa première mission sera d’y éteindre l’incendie allumé au sein de la corporation des Ambassadeurs par la récente suppression du statut du «corps diplomatique» qui réservait jusqu’à aujourd’hui la quasi-totalité des nominations aux hauts fonctionnaires issus de ce ministère. Une menace de grève plane même ces jours-ci sur le Quai d’Orsay, le siège parisien de la diplomatie française, mise à rude épreuve par la guerre en Ukraine.
Elle sera secondée pour les Affaires européennes par l'actuel titulaire du poste, Clément Beaune, bien connu des diplomates suisses.
Deux hommes forts
Pourquoi avoir reconduit Bruno Le Maire - désormais numéro deux du gouvernement - et Gérald Darmanin alors que l’un comme l’autre se verraient bien entrer dans la course à l’Élysée en 2027, puisque Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat (la Constitution française l’interdit)?
La réponse est contenue… dans la question. Avec ces deux hommes forts issus de la droite, disposant chacun d’un très bon réseau d’élus, le locataire de l’Elysée garantit une forme d’équilibre au sommet, tout en s’assurant que le pays sera solidement tenu au début de son second mandat, dans un contexte de colère sociale et de poussée inflationniste.
Objectif? Un front solide pour contenir l’éventuelle offensive politique de son ancien chef du gouvernement, Édouard Philippe, maire du Havre, qui vise également la course présidentielle dans cinq ans. Un autre garant de ce front de droite sera le nouveau ministre de la Défense, Sébastien Le Cornu, qui s’occupait auparavant de l’Outre-mer.
L’autorité avant tout
Avec ces deux nominations, la prime est surtout donnée à l’autorité. Autorité sur les deniers publics après deux ans de dépenses publiques à tout va dans le cadre du «Quoi qu’il en coûte», tout en nommant aux côtés de Bruno Le Maire un très proche du président en charge du Budget, Gabriel Attal. Autorité sur la police et les questions de laïcité avec un Gérald Darmanin solidement installé depuis juillet 2020 dans le rôle de premier flic de France.
Exactement ce qu’il faut pour rassurer… l’électorat de droite et les retraités, ces deux réservoirs de voix sur lesquels compte d’abord Emmanuel Macron pour obtenir une majorité de députés à l’issue des législatives des 12 et 19 juin. Autorité enfin sur les juges avec Éric Dupond-Moretti, pourtant mis en cause pour des conflits d’intérêts et sous la menace d’un procès devant la Cour de justice de la République.
Un autre ministre sera chargé de ratisser cet électorat conservateur: le député de France voisine Damien Abad, élu de l’Ain, président sortant du groupe de députés «Les Républicains», le parti dont il vient de prendre congé. Cet élu handicapé, batailleur et charismatique, familier de la «France d’en bas», hérite du portefeuille des Solidarités, coiffant les affaires sociales. Il est la plus grosse «prise politique» de ce début de second quinquennat.
Des nominations qui buteront sur les législatives
Que reste-t-il pour séduire la gauche et les électeurs préoccupés par la transition écologique, dont Emmanuel Macron a promis de faire sa priorité? Pas grand-chose. Le symbole le plus fort est l’arrivée de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale, nouvelle tentative de disruption présidentielle. Cet historien, spécialiste de l’histoire de la ségrégation raciale aux États-Unis, est déjà présenté comme «l'anti-Blanquer», et supposé ouvert aux thèses «wokes» venues d'Amérique du nord. Un autre nom sonne comme une porte ouverte à la diversité: Rima Abdul Malak, nouvelle ministre de la Culture. Elle officiait jusque-là comme conseillère culturelle à l’Élysée. Elle remplace Roselyne Bachelot.
Difficile en revanche de prétendre incarner de manière forte la transition écologique. Les deux ministres chargés de ce dossier clef sont la ministre sortante… de l’Industrie, Agnès Pannier Runnacher, qui a auparavant fait carrière dans la finance, et la technocrate Amélie de Montchalin. Ni l’un ni l’autre ne sont connues pour leur engagement contre le réchauffement climatique. Les écologistes, engagés dans la coalition de gauche menée par Jean-Luc Mélenchon, auront beau jeu durant la campagne électorale de dénoncer ces nominations «cosmétiques».
À noter toutefois: ces portefeuilles ministériels sont largement provisoires, puisque les résultats du prochain scrutin entraîneront à coup sûr un remaniement et, après le second tour le 19 juin, la formation d’un gouvernement plus révélateur des orientations de ce second quinquennat. Lequel, pour l’heure, ressemble terriblement… au premier. La «disruption» macronienne persiste, mais en version «redux». Preuve qu'elle a sans doute trouvé ses limites.