Le nombre de nouvelles constructions n’a cessé de baisser en Suisse depuis qu'il avait atteint son pic en 2011. La tendance s’est confirmée l’an dernier avec une baisse de 3% par rapport à 2021. À cela s'ajoute un taux de vacance – à savoir le nombre de logements disponibles par rapport au nombre de logements total – toujours très bas l’an dernier, au point d’inquiéter les spécialistes de la branche.
«Jusqu’en 2020, le taux de vacance avait plutôt tendance à augmenter, mais depuis la pandémie, on observe une baisse», commente Michel Fleury, économiste de la banque Raiffeisen. Les centres-villes, déjà plus fortement touchés par la rareté des logements en temps normal, enregistrent des taux de vacance particulièrement bas: 0,47% à Genève et 0,49% à Lausanne. Les autres villes romandes font à peine mieux: 0,72% à Vevey, 0,77% à Sion, 1,31% à Neuchâtel. Fribourg (2,56%) et Bienne (2,43%) semblent pour l’instant tirer leur épingle du jeu.
La tension sur le marché du logement locatif ne se cantonne plus aux centres urbains, mais s’étend désormais aux ceintures périurbaines. Exemples dans la campagne genevoise: Soral, Laconnex et Chancy sont passés d’un taux supérieur à 1% en 2018 à 0% en 2022!
Au même moment, la population suisse, en passe d’atteindre les 9 millions d’habitants, continue d’augmenter et, avec elle, la demande en logements locatifs. Dans un tel contexte, certains experts entrevoient d’ores et déjà une crise durable en matière de logement ces prochaines années.
Malgré la hausse des taux, les prix à l’achat ne baissent pas
En effet, l’immobilier n’attire plus autant les investisseurs, notamment parce que les taux d’intérêts fixés par la Banque nationale sont en hausse depuis septembre 2022, passant de -0,25% à 1,50%. Cette politique monétaire se répercute sur les taux hypothécaires, rendant les crédits nettement plus chers. «Actuellement, nous prévoyons une dernière légère hausse du taux directeur en juin. Les taux hypothécaires devraient donc bientôt atteindre leur point culminant», explique Michel Fleury.
Le tableau n’est donc guère plus reluisant pour celles et ceux qui aspirent à devenir propriétaires. D’autant que, d’ordinaire, la hausse des taux d’intérêt entraîne un tassement des prix à l’achat. L’emprunt devenant plus cher, la demande s’effrite, poussant les prix des biens immobiliers vers le bas. Or, aucune baisse du prix du mètre carré n’a été observée pour l’instant. Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique révèlent une hausse de 1,2% au dernier trimestre 2022, et même de 2% pour les maisons individuelles. En cause: «Une demande toujours élevée, même si moins dynamique, et une offre toujours très limitée.»
En mars 2023, Credit Suisse annonçait dans son rapport sur le marché immobilier que, pour la première fois en 13 ans, l’achat était devenu plus cher que la location: «La charge financière liée à l’achat d’un logement de 4,5 pièces s’établit aujourd’hui à 34’060 francs par an pour une hypothèque fixe à 5 ans.»
D’une part, cette explosion des coûts liés à l’immobilier réduit drastiquement le nombre de personnes en mesure d’acquérir un logement en propriété. Dans les régions zurichoise, lémanique et bâloise, moins de 10% des logements de 4 pièces et plus sont accessibles à des ménages touchant un revenu de 120’000 francs par an. D’autre part, cela rend l’investissement nettement moins intéressant pour celles et ceux qui en ont les moyens.
Hausses des loyers
Le déséquilibre entre offre et demande constituerait à lui seul une raison suffisante de redouter une hausse générale des loyers dans les régions les plus frappées par la pénurie de logement. Et les taux d’intérêt hypothécaires qui grimpent, permettant aux propriétaires de renégocier les loyers à la hausse, viennent encore renforcer ce risque. «Environ la moitié des locataires paient un loyer basé sur le taux d'intérêt de référence actuel de 1,25%. Avec la hausse attendue à 1,5% en juin, ces locataires devront mettre la main à la poche si leur propriétaire décide d’adapter le loyer aux nouvelles conditions», indique Michel Fleury. Ces augmentations surviendront en outre partout en Suisse, aussi bien dans les centres urbains que dans les campagnes.
Seule bonne nouvelle pour les locataires ces dernières semaines: d’après une étude de la plateforme de comparaison HelloSafe, la part du salaire déboursée pour s’acquitter de son loyer serait en baisse. Dans un rapport publié le 11 mai, la Raiffeisen indique que le poids du loyer dans le budget des ménages s’est bien allégé entre 2015 (15,3%) et 2022 (13,8%). Il semblerait donc que la hausse des salaires soit tout compte fait plus rapide que la hausse du prix des loyers.
Réponse politique
La pénurie guette et la situation ne paraît pas près d’évoluer favorablement. Même en comptant sur le retour progressif d’un contexte macroéconomique plus apaisé, avec un ralentissement de l’inflation et un retour à des taux hypothécaires plus bas, la construction aura du mal à reprendre dans les régions où elle fait le plus défaut. «Il existe dans ces régions un manque de terrain à bâtir. La densification constitue une solution, mais demeure malheureusement peu attractive du fait de son coût élevé et de son poids administratif important, que l’on doit notamment aux oppositions.»
L’économiste entrevoit donc une période chahutée lors des années à venir: «La construction de logement est un domaine d’activité où il n’existe pas de solutions rapides: même si l’on construisait ou densifiait massivement aujourd’hui, il faudrait attendre au moins deux ans avant d’en percevoir les premiers effets.»
Dans leur dernier rapport, les économistes de la Raiffeisen appellent à envisager des mesures politiques concrètes visant notamment à abaisser le taux de résidence secondaire, parfois très nombreuses dans les centres urbains (20% en ville de Genève, par exemple), ou encore la mise en circulation de terrains constructibles non exploités.