Malgré la hausse surprenante du taux d'inflation en février, la fin de l'augmentation des taux d'intérêt en Suisse se profile à l'horizon. Le marché prévoit même déjà que la Banque nationale suisse (BNS) abaissera à nouveau sensiblement ses taux directeurs (les taux d’intérêt qu'elle appliquera aux banques commerciales pour des prêts) dans les deux ans à venir.
Résultat: la courbe des taux suisse s'est encore «inversée» avec les turbulences des marchés financiers de ces derniers jours. L'inversion de la courbe des taux, quésaco? Il s'agit d'un phénomène qui se caractérise lorsque les taux d'intérêt à long terme deviennent moins élevés que les taux d'intérêt à court terme. En clair: les propriétaires qui souhaitent obtenir un prêt à court terme payeront moins d'intérêts à leur créancier, que ceux qui souhaitent rembourser un prêt à long terme. Une anomalie du marché.
«Une courbe des taux inversée représente surtout un problème pour les banques», explique Daniel Hartmann, économiste en chef de Bantleon, à cash.ch. La raison: la marge que les établissements bancaires gagnent est plus petite, puisque les investisseurs préfèrent les prêts à court terme. Si les banques tentent de maintenir les taux d'intérêt à long terme à un bas niveau pour contrer l'érosion de la marge d'intérêt, elles courent le risque que les clients se retirent.
La fuite des capitaux met Credit Suisse sous pression
Les banques américaines aujourd'hui en difficulté ont notamment dû faire face à cette fuite des capitaux. Mais la banque Credit Suisse subit, elle aussi, une énorme pression à cet égard.
Les banques centrales doivent donc faire preuve de plus de prudence que jusqu'à présent dans leur politique de taux d'intérêt. Si elles continuaient simplement à relever les taux, elles renforceraient encore l'inversion de la courbe des taux. «La politique des taux d'intérêt de la BNS devrait également en être affectée, notamment en raison des problèmes de Credit Suisse», explique Daniel Hartmann.
L'économiste prévoit une hausse des taux directeurs de 25 points de base au lieu de 50 dans le cadre de la prochaine réunion. La pression à la baisse sur les rendements des emprunts d'État devrait se poursuivre en conséquence.
Courbe des taux inversée pour les hypothèques suisses
Cette forte modification des attentes du marché au cours des dernières semaines se répercute également sur les taux d'intérêt hypothécaires. Chez de plus en plus de fournisseurs d'hypothèques, la courbe des taux est inversée. C'est déjà le cas actuellement pour la Banque BSU, la Banque Thalwil, Generali Assurance, la Banque cantonale de Glaris, Hypoclick, la caisse de pension de la ville de Winterthur, ou encore Swiss Life. La courbe des taux des hypothèques s'est massivement aplatie dans l'ensemble depuis la mi-2022.
Le fait que les taux d'intérêt hypothécaires des premiers fournisseurs se soient inversés a des conséquences concrètes pour la planification du financement immobilier: «Si l'on voulait s'engager longtemps et avoir une certaine sécurité, il fallait jusqu'à présent payer plus cher. Maintenant, on paie plus pour la flexibilité et l'espoir de taux plus bas à l'avenir», explique Florian Schubiger, de hypotheke.ch, interrogé par cash.ch.
Celui qui conclut une hypothèque à court terme part du principe que les taux d'intérêt vont baisser. En revanche, ceux qui partent du principe que les taux d'intérêt resteront les mêmes s'en tireront sans doute plus avantageusement avec une hypothèque sur cinq ans. Cette situation exceptionnelle devrait s'accentuer au cours des un à deux prochains mois, car la structure inverse des taux d'intérêt devrait également se consolider pour les hypothèques.
«Auparavant, on s'en sortait mieux avec le Saron, même en cas de légère hausse des taux, car le supplément de prix pour les longues durées était souvent très élevé. Maintenant, on paie moins pour les longues durées. Et celui qui conclut une hypothèque Saron doit s'attendre à ce que les taux baissent», résume Florian Schubiger.
Pression à la baisse sur les rendements et les obligations d'État
Le choc actuel sur les marchés financiers n'est toutefois pas le seul responsable de la pression à la baisse sur les rendements des emprunts d'Etat: «Nous partons en outre du principe que la situation conjoncturelle va encore s'assombrir sensiblement cette année. Une récession ne peut pas non plus être exclue en Suisse», explique Daniel Hartmann.
La pression exercée sur la BNS pour qu'elle abaisse ses taux directeurs est moins forte qu'à l'étranger en raison du faible niveau de ces derniers – Daniel Hartmann s'attend à ce qu'ils atteignent 1,25 à 1,5%. Mais si la Suisse tombait en récession, elle devrait baisser modérément ses taux directeurs à la fin de l'année 2023.
Daniel Hartmann prévoit que les rendements des obligations fédérales suisses à 10 ans seront inférieurs d'au moins 50 points de base à la fin de l'année, soit environ 0,5%. En bref, cela signifie pour les propriétaires immobiliers suisses que les hypothèques fixes à dix ans seront nettement moins chères dans quelques mois. Miser maintenant sur des courtes durées en vue d'une baisse des taux pourrait donc finalement s'avérer payant à long terme, comme étape intermédiaire.
L'hypothèque à taux fixe sur 10 ans reste malgré tout intéressante
Le constat reste le même: il existe de grandes différences entre les offres du marché. «Lundi, lors d'un appel d'offres de crédit, un prêteur nous a proposé 2,2% pour une hypothèque à taux fixe sur 15 ans et un autre 3%», explique Giampiero Brundia. Une telle différence de taux de 0,8% par an est énorme, il faut donc toujours demander plusieurs offres.
Pour Florian Schubiger, l'inflation continue de dominer l'évolution des taux d'intérêt. «Si l'on part du principe que les banques centrales vont maîtriser l'inflation, il faut maintenant miser sur les hypothèques à court terme.» C'est justement dans ce scénario que les taux devraient revenir rapidement à la normale.
Mais si l'on n'est pas sûr de soi et que l'on n'a pas le goût du risque, il vaut mieux miser sur une hypothèque à taux fixe sur 10 ans. Celle-ci peut être conclue actuellement à un prix relativement bas – 2,14% d'intérêt pour une notation de premier ordre. Si l'on mise maintenant sur une hypothèque Saron et que l'inflation reste élevée, on prend un risque tout aussi élevé.
(Adaptation par Lliana Doudot)