Depuis le pas-de-porte de la conseillère nationale Delphine Klopfenstein Broggini (les Vert-e-s), dans les hauteurs de la commune genevoise de Versoix, on voit l’autoroute A1, située à 500 mètres – ou 10 minutes à pied – de là. On entend surtout le râle sourd et continu de l’infrastructure routière dénuée de parois antibruit, souvent amplifié par le passage d’un camion.
Et ce n’est pas tout. Toutes les dix minutes, un avion de ligne traverse le ciel de la petite ville aux 14’000 habitants. Pas bien haut, puisque dans quelques secondes, l’engin va atterrir à l’aéroport de Cointrin. Le grondement de ses réacteurs pousse tout non-habitué des environs à lever les yeux au ciel… sans toutefois aller jusqu’à se boucher les oreilles.
Si la députée écologiste a invité Blick chez elle, en ce dernier vendredi de novembre, ce n’est pas seulement pour discourir sur la récente victoire de son camp, le «non» à la votation sur l’élargissement des autoroutes. La politicienne, sociologue de formation, veut donner un aperçu de la pollution sonore qu’elle, sa famille et ses concitoyens versoisiens vivent au quotidien. Elle présente en exclusivité l’initiative parlementaire qu’elle entend déposer lors de la session d'hiver qui débute ce lundi 2 décembre au Conseil national.
De son pré carré jusqu’au Conseil national
Delphine Klopfenstein Broggini veut profiter de son cas individuel pour «dézoomer». «Au fond, mon témoignage sert à humaniser la problématique, s’explique l’élue verte. Plutôt que de défendre seulement mon pré carré, je souhaite que ma démarche permette d’élargir le débat, jusqu’à ce que la pollution sonore soit vraiment considérée comme un problème de santé publique.»
Objectif de son initiative? Modifier l’article 16 de la Loi sur la protection de l’environnement (LPE) afin qu’il intègre la notion d’urgence sanitaire, soit le «nombre de personnes exposées à un bruit excessif en continu». Une façon de «réfléchir la protection du bruit en fonction de la densité de population», et ainsi d’accélérer l’assainissement des autoroutes et la baisse des décibels pour les riverains, s’explique la députée genevoise, qui défend plutôt les cyclistes que les automobilistes puisqu’elle vient d’être élue ce samedi présidente de Pro Velo Suisse.
Mais concrètement, de quoi est fait son quotidien sonore? Elle raconte à Blick son arrivée il y a sept ans, en famille, dans cette petite villa mitoyenne désormais surplombée de panneaux solaires. «Le bruit de l’avion m’a tout de suite frappé, car certains modèles font un bruit de tonnerre vraiment excessif, parfois en pleine nuit. Pour ce qui est de l’autoroute, le bruit est permanent et les décibels peuvent grimper en fonction des conditions météo… et de la densité du trafic.»
La bruyante autoroute, le «point noir» de Versoix
Entre le lac au nord et la forêt au sud, sur l’axe Genève-Lausanne, Versoix a pourtant des arguments à faire valoir. «DKB» trouve les lieux «magnifiques»: «Les communes de la rive droite du lac, dont Versoix, profitent d’un cadre qui assure une certaine qualité de vie, mais l’autoroute qui les traverse à l’ouest, toujours pas assainie à l’heure actuelle, représente un réel point noir.»
Stress, troubles du sommeil ou encore maladies cardio-vasculaires, telles sont quelques-uns des effets sur la santé que peut avoir une trop forte exposition au bruit. «Le bruit reste l’une des pollutions les plus directement dérangeantes, continue la conseillère nationale. De nombreuses personnes peuvent en témoigner dans ma commune, c’est un vrai sujet de débat dans cette région à proximité de l’aéroport et de l’autoroute.»
Sa proximité directe avec le tronçon Nyon (VD)-Le Vengeron (GE), elle assure ne pas avoir voulu la rendre publique pendant le débat sur la troisième voie. Pour la députée, la problématique du bruit va au-delà des oppositions marquées sur la question des embouteillages. «Ce mouvement va tout à fait au-delà de la politique partisane, se persuade la parlementaire. Il ne s’arrête pas aux Vert-e-s, mais englobe des communes parfois marquées à droite et beaucoup de riverains.»
Les Romands discriminés?
Reste que la thématique du bruit causé par la route – qui est selon elle «sous-exploitée dans le débat public» et que «la politique met en sourdine» – a reçu un certain écho durant la campagne. «Proposer cette initiative parlementaire, c’est une suite logique», se réjouit la Versoisienne.
Delphine Klopfenstein Broggini voit également «une forme de discrimination» régionale dans la mise en route de ces assainissements: «La Suisse romande est beaucoup plus exposée au bruit des routes proches des agglomérations. Nous sommes globalement moins bien protégés contre les nuisances sonores des autoroutes par rapport à d’autres régions du pays.»
Selon le texte de son initiative, «plus de 570 kilomètres de routes romandes ne respectent pas encore les normes de protection contre le bruit, ce qui représente une proportion significative des routes nécessitant des interventions en Suisse.» Elle évoque aussi des retards dans les travaux d’assainissement, comme en Valais et à Genève, et assure que la densité urbaine plus importante de ce côté-ci de la Sarine est la raison d’une plus grande exposition à la pollution sonore.
Quel financement pour les assainissements?
La loi oblige d’ores et déjà la Confédération à assainir «les installations qui ne satisfont pas aux prescriptions» légales. Et comme le précise l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) sur son site, des mesures de réduction des décibels routiers sont en cours. Entre 2018 et 2022, ce sont «plus de 370’000 personnes» qui ont pu être protégées. «Depuis 1985, plus de 5 milliards de francs ont déjà été investis pour l’assainissement des routes suisses», assure l’OFEV dans un rapport publié à la fin de l’année 2022.
Pour Delphine Klopfenstein Broggini, ces investissements ne sont pas suffisamment rapides et ajouter la notion d'«urgence sanitaire» pourrait accélérer le processus. Pour ce qui est du volet financier, elle se verrait bien récupérer dans ce qui ne sera pas nécessaire à l’élargissement des autoroutes: «Dans le budget alloué à la maintenance des routes, dans le fonds FORTA, on doit intégrer systématiquement la question de l’assainissement et de la lutte contre le bruit, inhérent au trafic.»
La conseillère nationale va même plus loin: «Le bruit a un réel impact sur les coûts de la santé. Alors en luttant contre les nuisances sonores, on fait gagner de l’argent à la collectivité.» Un argument que l’amatrice de mobilité douce utilise également pour défendre les cyclistes, et leur éviter d’être taxés pour les infrastructures qu’ils utilisent.