Lausanne compte plusieurs enseignes devenues mythiques au fil du temps. Le magasin Maniak, au Flon, en fait partie. La griffe de vêtements au logo à la tête de mort et tibias croisés jaunes, lancée en 1983, est sous le feu des projecteurs au moment de souffler sa quatrième décennie. Mais pas pour de bonnes raisons.
Début août, l’Association des Etudiant-e-s Afro-descendant-e-s est tombée des nues en découvrant sa vitrine. Sur une photo transmise à Blick, on y voit une mannequin blanche en robe d’aluminium tenir en laisse deux mannequins noirs, torse à l’air.
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Cette scène ne passe pas. «Nous sommes outrés par l’utilisation faite par la boutique Maniak, à des fins décoratives et commerciales, d’une imagerie se référant de manière assez explicite à l’esclavage des populations africaines», amorce Jean-David Pantet Tshibamba, président de l’association.
Il enchaîne: «Cette mise en scène de deux corps noirs, nus, enchaînés à la gorge et tenus en laisse par un troisième protagoniste, blanc et habillé, a certainement sa place dans un musée, pour commémorer et sensibiliser sur l’horreur de l’esclavage. Mais certainement pas dans la vitrine d’une boutique, pour vendre des jeans et des t-shirts.»
Maniak présente ses excuses
Qu’a voulu montrer Maniak? Le shop rock 'n' roll fait-il vraiment référence à l’esclavage? Sa patronne, Isabelle «Babette» Morand, donne le contexte. «Nous sommes ouverts depuis 40 ans et cela fait 40 ans que nous sommes le magasin de toutes les minorités, assure-t-elle au bout du fil. En période de solde, nous faisons des vitrines avec des décorations en aluminium, telles que celles qui ont posé problème. En l’occurrence, j’étais en vacances quand cela s’est passé. La personne derrière cette idée avait pour seule intention d’appuyer le côté un peu sexy, femme dominatrice.»
La sexagénaire bat sa coulpe. «Personne n’a tiqué sur le moment, mais je comprends la confusion générée par le fait que les deux hommes sont représentés par nos mannequins laqués que nous avons depuis longtemps. J’aimerais donc présenter mes excuses à la communauté noire ainsi qu’à toutes les personnes que cette vitrine a pu blesser.»
Potentielle action en justice
Pas de quoi apaiser Jean-David Pantet Tshibamba. «Étant donné l’agencement très particulier des mannequins, deux mannequins noirs enchaînés, tenus en laisse par un mannequin blanc, je trouve troublant que l’on puisse ne pas se rendre compte immédiatement de ce à quoi ça renvoie, réagit-il. On ne peut pas juger de la bonne ou de la mauvaise foi de la direction de l’établissement. Mais en revanche, on peut affirmer que cet incident est emblématique d’une sous-estimation systématique des questions afro-descendantes et de leur poids en société.»
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Qu’entend l’étudiant par là? «On se permet toujours de faire aux afro-descendants ce qu’on ne se permettrait probablement — et à juste titre — pas de faire à d’autres personnes ou d’autres communautés. Il y a quelque temps, on faisait des blackfaces sur le campus de l’Université de Lausanne. Hier, on faisait des blagues sur nos accents au Grand Conseil vaudois. Aujourd’hui, on décore une vitrine avec une imagerie qui rappelle l’esclavage. Et les excuses se ressemblent toujours: 'Je ne savais pas', 'je n’ai pas fait exprès, 'je n’y ai pas pensé'…»
Pour notre interlocuteur, ces mots ne sont pas suffisants. «La communauté afro-descendante n’en peut plus de voir ces comportements se répéter, tonne-t-il. À présent, beaucoup de choses doivent changer, et en tant que représentant associatif, je vous assure que nous ferrons le nécessaire, au niveau éducatif, politique, mais aussi légal, pour qu’elles changent et qu’on ne puisse plus dire: 'Je n’y ai pas pensé'.» Dit-il en filigrane qu’il signalera la vitrine de Maniak à la justice? Jean-David Pantet Tshibamba n’a pas de réponse «claire» à ce stade. Il indique toutefois qu’il se réserve le droit de le faire.