Au téléphone ce jeudi soir, Stéphane Baechler paraît déboussolé. Le président du Parti libéral-radical (PLR) du district de La Gruyère n'imaginait pas une seule seconde que le repas de soutien de son parti du samedi 25 mars dernier ferait polémique sur les réseaux sociaux.
Cet événement, intitulé «La Chinoise du Président», suscite l’ire de la Jeunesse socialiste fribourgeoise (JSF). Cette dernière s’insurge auprès de Blick: «Le comportement du PLR est raciste et doit être dénoncé comme tel.» Ce qui motive cette colère? Le comité de la formation bourgeoise s’est déguisé «en Asiatique» pour accueillir ses convives autour d’une fondue chinoise. Avant de poster une photo de groupe sur Facebook — aujourd’hui supprimée — pour immortaliser le moment.
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«Nous dénonçons cette appropriation culturelle faite par le PLR gruérien, lance Emily Baumgartner, membre du comité de la JSF. C’est un manque flagrant de respect à l’encontre de l’ensemble des membres de la communauté asiatique. Une culture n’est pas un déguisement.» Pour cette militante de la gauche radicale, «le 'Yellowface' (ndlr: le 'grimage en jaune') est, à l’instar du 'Blackface' (ndlr: le 'grimage en noir'), un acte raciste qui doit être pris au sérieux.»
Elle enchaîne: «Comme toutes les minorités, les personnes d’origine asiatique vivent des injustices et des discriminations en Suisse. Nous attendons du PLR qu’il remette en question ses agissements, qu’il réfléchisse très sérieusement à ses préjugés et qu’il présente ses excuses.»
Entre surprise et incompréhension
Confronté à cette prise de position, Stéphane Baechler avoue sa surprise. Et rappelle les intentions de son parti: «En amont de notre repas de soutien annuel, nous définissons à chaque fois un thème, amorce-t-il. Une année, le plat que nous proposions était des filets de perche donc nous nous étions habillés en marins. Une autre, c’était la paella. De ce fait, nous nous étions habillés en Espagnols. Là, c’est pareil: nous avions choisi la fondue chinoise, donc nous nous sommes habillés en Asiatiques, avec des kimonos et des chapeaux.»
Le vice-syndic de Sâles assure qu’il n’a jamais été question de blesser qui que ce soit. Il développe: «Nous voulions créer une atmosphère festive, bon enfant, dans le thème de l’Asie. Nous avions mis des nappes rouges, des ballons rouges et dorés… L’idée était simplement de passer un moment convivial, loin de l’image parfois austère et très protocolaire de la politique.»
Soit. Mais sur le fond maintenant, comprend-il les critiques qui lui sont adressées? La photo qui a mis le feu sur les réseaux sociaux a-t-elle été supprimée parce que sa section s’est remise en question ou simplement pour éteindre l’incendie? «Honnêtement, c’était pour mettre fin à la polémique, glisse-t-il. J’ai surtout l’impression que ces reproches nous sont faits à des fins politiques, car nous sommes en année d’élections fédérales. Si le problème prioritaire de la JS est notre repas de soutien, tant mieux pour elle. Nous, nous continuerons de nous concentrer sur la crise énergétique, le pouvoir d'achat ou encore la guerre en Ukraine.»
Alors, raciste ou pas raciste?
Pour trancher, Blick a soumis ce cas — et la photo litigieuse — à la Commission fédérale contre le racisme (CFR). Les déguisements du PLR gruérien sont-ils racistes? Le «Yellowface» pose-t-il les mêmes problèmes que le «Blackface»? Sa présidente nous a répondu dans un courriel.
«La pratique de 'Yellowface', sans être absolument identique, partage des similitudes avec la pratique du 'Blackface', tel qu’utiliser des stéréotypes associés à certains individus et cultures afin d’en faire un déguisement», écrit Martine Brunschwig Graf. Elle poursuit: «Les moustaches, les vêtements et les chapeaux utilisés comme déguisement font partie d’un ensemble de clichés et de préjugés qui sont depuis longtemps dénoncés et combattus par les personnes concernées. Comme le 'Blackface' ce genre de comportement reste inapproprié.»
Toujours selon l’ancienne conseillère d’Etat PLR genevoise, «il ne faut pas oublier que les personnes d’origine asiatique peuvent être exposées à des discriminations en Suisse.» Un phénomène «qui s’est accentué durant la pandémie de Covid.»
Dans ce cas particulier, la CFR se dit «consciente du fait qu’il n’y a pas d’intention de blesser ou de discriminer». Cependant, «les responsables politiques devraient être particulièrement attentifs au fait que des pratiques jugées anodines peuvent s’avérer blessantes pour des personnes particulièrement exposées au racisme et à la discrimination.»
«Nous en discuterons en comité»
Nous avons lu cette déclaration à Stéphane Baechler. De quoi faire changer sa position? «Toute réaction entraîne une réflexion, souffle-t-il. Mais je reste convaincu que le procès qui nous est fait est avant tout une attaque politique en période électorale. Ceci dit, nous en discuterons lors de la prochaine séance de comité.»
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Il rebondit, un brin amer: «Je me pose toutefois sérieusement cette question: si un déguisement est offensant ou discriminant, devons-nous interdire le carnaval, les fêtes de jeunesse ou de village? Si on pousse le vice plus loin, doit-on désormais considérer qu’un Asiatique qui porterait un vêtement typiquement suisse blesserait notre pays? Moi, je suis — et je reste — persuadé que non.»