Comme tous les jeux vidéo très attendus, «Hogwarts Legacy» a beaucoup fait parler de lui. Sorti le 10 février dernier, développé par le studio Avalanche Software et inspiré de l’univers des «Harry Potter», il a évidemment donné lieu à des débats interminables sur ses qualités et la meilleure «maison» de Poudlard avec laquelle jouer. Plutôt Gryffondor ou Serpentard? La salle commune de Poufsouffle est-elle plus sympa que celle de Serdaigle? Mais en réalité, les discussions les plus animées n’ont pas tourné autour du jeu lui-même.
De nombreux activistes, militants ou simples internautes ont en effet appelé à boycotter ce jeu. Pourquoi? Parce que l’acheter et y jouer, ce serait soutenir J.K. Rowling, l’autrice des livres «Harry Potter». Et celle-ci est, depuis 2018, sous le feu des critiques pour des prises de position publiques qui lui valent d’être taxée de transphobie.
Acte 1: J.K. Rowling «like» un tweet transphobe
Tout commence le 19 mars 2018. Ce jour-là, J.K. Rowling «like» un tweet, écrit par une certaine @racybearhold (le compte a depuis été suspendu par Twitter). Cette internaute britannique expliquait avoir été victime de misogynie alors qu’elle militait pour le parti travailliste. «Je ne me suis souvent pas sentie soutenue, écrivait-elle. Des hommes en robe reçoivent une solidarité de la part des hommes travaillistes que je n’ai jamais eue. C’est de la misogynie!»
L’utilisation des termes «hommes en robe» pour désigner des femmes transgenres (c’est-à-dire des personnes nées dans un corps masculin mais qui s’identifient femmes et ont décidé de transitionner) est transphobe. Cela contribue en effet à nier le genre de ces femmes trans. Pour ce «like», J.K. Rowling est alors accusée de transphobie. Par la voix de son agente, l’autrice se défend et explique qu’il s’agit d’une erreur «maladroite». Elle «tenait mal son téléphone». Plus tard, elle dira avoir voulu faire une capture d’écran dans le cadre de recherches personnelles sur les questions de genre.
Acte 2: J.K. Rowling suit une youtubeuse transphobe
Un peu plus d’un an plus tard, J.K. Rowling est de nouveau pointée du doigt. Cette fois-ci, toujours sur Twitter, l’écrivaine suit une youtubeuse britannique, Magdalen Berns. Une ancienne boxeuse, féministe radicale, lesbienne, qui publie des vidéos sur sa chaîne pour parler, notamment, d’identité de genre. Magdalen Berns tient à cette occasion de nombreux propos transphobes. Pour elle, les femmes trans sont comparables à des acteurs qui feraient une «blackface» (se peindre la peau en noir pour incarner une personne noire), «les femmes trans sont des hommes» et l’activisme trans est «un mouvement pour le droit des hommes».
Là encore, J.K. Rowling se défend et explique qu’elle cherchait simplement à contacter directement Magdalen Berns, atteinte d’une tumeur au cerveau (elle est décédée en septembre 2019). En revanche, elle salue «une jeune féministe lesbienne immensément courageuse».
Acte 3: l’autrice apporte son soutien à une chercheuse controversée
Quelques mois plus tard, en décembre 2019, l’autrice des «Harry Potter» apporte cette fois-ci un soutien public clair à Maya Forstater. Cette dernière est une chercheuse britannique qui travaillait avec un think tank jusqu’en 2019. Cette année-là, son contrat n’est pas renouvelé. En cause: plusieurs messages sur les réseaux sociaux dans lesquels Maya Forstater cible les femmes trans. Elle écrit notamment qu’elle «ne croit pas que les gens devraient être obligés d’accepter des délires comme ‘les femmes trans sont des femmes’» et parle d’«hommes qui aiment porter des robes de femmes».
Maya Forstater engage alors une bataille juridique avec son ex-employeur. Et J.K. Rowling vient la soutenir avec un tweet: «Habillez-vous comme vous le souhaitez. Définissez-vous comme vous voulez. Couchez avec n’importe quel adulte consentant qui veut de vous. Vivez votre meilleure vie en paix et en sécurité. Mais virer des femmes parce qu’elles disent que le sexe est une réalité?»
À l’époque, la GLAAD, l’Alliance gay et lesbienne contre la diffamation, critique vertement J.K. Rowling. Pour l’association américaine, l’autrice «a rejoint une idéologie anti-sciences, qui nie les droits fondamentaux des personnes trans».
Depuis, Maya Forstater a gagné son procès en appel, après avoir été déboutée en première instance. Dans le jugement rendu, le tribunal britannique saisi estime qu’elle a bien été victime de discrimination en raison de ses opinions. Il ajoute en revanche que des idées ne peuvent pas être exprimées de façon à discriminer les personnes trans. J.K. Rowling, elle, est alors désignée comme une «TERF» par ses détracteurs et détractrices. Soit une trans-exclusionary radical feminist, une féministe radicale qui exclut les trans de son combat.
Acte 4: l’escalade en juin 2020
En mai 2020, rebelote. J.K. Rowling «like» un nouveau tweet qui s’attaque à Alex Drummond, une photographe et psychothérapeute trans. Dans ce message accompagné de la photo d’une personne portant une barbe et du maquillage sur les yeux, un activiste gay, Fred Sargeant, désigne Alex Drummond comme «un mâle adulte qui assure être une lesbienne (oui, il a gardé ses parties ballantes et a zappé les hormones)». Derrière la douce poésie, on retrouve un mégenrage (le fait de ne pas utiliser le bon pronom pour désigner une personne, en l’occurrence en disant «il» au lieu d’«elle») et, encore une fois, l’idée que les femmes trans restent des hommes. Jusqu’ici, la controverse reste relativement cantonnée aux milieux activistes trans.
L’escalade se produit en juin 2020, lorsque paraît sur la plateforme Devex un article intitulé «Créer un monde post-Covid plus égalitaire pour les personnes qui menstruent». L’emploi de cette périphrase permet d’englober également les personnes qui s’identifient comme non-binaires (ni homme, ni femme) et les personnes trans qui ont toujours leurs règles. Mais cela hérisse J.K. Rowling, qui réagit sur Twitter avec ironie. «Des personnes qui menstruent? Je suis sûre qu’on avait un mot pour désigner ces personnes. Flemme? Fammes? Fommes?»
Pour l’autrice, cela participe à invisibiliser les femmes. «Si le sexe n’est pas une réalité, alors ce que vivent réellement les femmes à travers le monde est effacé. Je connais et j’aime des personnes trans mais effacer le concept de sexe retire à beaucoup la capacité de discuter vraiment de leurs expériences. Dire la vérité, ce n’est pas tenir un discours de haine», écrit J.K. Rowling sur Twitter. Elle assure être «en empathie avec les personnes trans depuis des décennies» et «se sentir connectées à elles». «Je respecte le droit de toute personne trans à vivre sa vie de la façon qui lui paraît la plus sincère et confortable, poursuit-elle. Et en même temps, ma vie a été façonnée par le fait que je suis de sexe féminin. Je ne pense pas que ce soit ‘haineux’ de dire ça.»
Acte 5: J.K. Rowling se défend
Cette fois, une autre personnalité dénonce les propos de l’écrivaine: l’acteur Daniel Radcliffe, qui interprète Harry Potter dans les adaptations de la saga au cinéma. Le comédien poste un commentaire sur Internet dans lequel il écrit que «les femmes trans sont des femmes». Et d'ajouter: «Dire le contraire, c’est effacer l’identité et la dignité des personnes trans.»
J.K. Rowling n’en démord pas. Dans un long billet publié sur son site Internet, l’autrice explique qu’elle s’intéresse depuis plusieurs années aux questions de genre, qu’elle a rencontré des personnes trans et beaucoup lu sur le sujet, notamment en vue d’écrire ses romans policiers, publiés sous le pseudonyme Robert Galbraith. L’écrivaine souligne ensuite que «des accusations et des menaces venues de trans activistes explosent dans [sa] timeline Twitter»: «Un simple ‘like’ a été brandi comme la preuve d’une opinion délictuelle et un harcèlement latent a commencé.»
J.K. Rowling poursuit en disant que ce «nouveau trans activisme l’inquiète». Ses critiques sont de deux ordres. D’abord, elle estime qu’on encourage trop les transitions de genre. En prenant son exemple personnel, l’autrice sous-entend en effet qu’il existe un phénomène de mode. «Je me suis demandé si j’aurais moi aussi essayé de transitionner si j’étais née 30 ans plus tard. J’ai eu des troubles obsessionnels du comportement étant plus jeune. Si j’avais trouvé le soutien d’une communauté en ligne, je pense qu’on aurait pu me persuader de devenir le fils que mon père aurait préféré avoir», écrit l’autrice.
«Comme je n’avais pas la possibilité matérielle de devenir un homme dans les années 1980, ce sont les livres et la musique qui m’ont aidée à surmonter mes troubles de santé mentale, ainsi que la pression et le jugement qui poussent tant d’adolescentes à entrer en guerre avec leur corps.» J.K. Rowling utilise le terme impropre de «femme transsexuelle» (au lieu de «transgenre») et regrette que le trans activisme essaie de faciliter les démarches (notamment administratives) pour effectuer une transition de genre.
Ensuite, l’écrivaine, pour qui les femmes trans restent des hommes, juge que ces dernières sont dangereuses pour les autres femmes. Si elle réaffirme «soutenir» les femmes trans, l’autrice les considère comme appartenant à un groupe distinct des femmes cisgenres (dont le sexe assigné à la naissance est identique à l’identité de genre): «Quand vous ouvrez grand les portes des vestiaires ou des toilettes à n’importe quel homme qui s’identifie comme ou se sent femme, vous ouvrez grand les portes à tous et n’importe quels hommes qui voudrait entrer. Voilà la vérité.»
Acte 6: Des critiques et des soutiens
Pour J.K. Rowling, en «niant l’importance du sexe», les trans activistes contribuent à affaiblir les mouvements féministes et les femmes en tant que «groupe politique et biologique». Ces déclarations font bondir notamment Emma Watson. L’actrice qui incarne Hermione dans les films «Harry Potter» se fend d’un tweet le 10 juin 2020: «Les personnes trans sont qui elles disent être et méritent de vivre leur vie sans qu’on leur pose des questions ou qu’on leur dise constamment qu’elles ne sont pas qui elles disent être.»
L’acteur Eddie Redmayne, qui joue le rôle principal de la franchise «Les Animaux fantastiques», dont J.K. Rowling est l’une des scénaristes, prend aussi ses distances dans les colonnes de «Variety»: «Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes et les identités non-binaires existent.»
En revanche, d’autres comédiens prennent la défense de J.K. Rowling. Ralph Fiennes, qui incarne Voldemort dans les films, estime que l’autrice est «simplement une femme qui dit: ‘je suis une femme, je sens que je suis une femme et je veux être capable de dire que je suis une femme’». Et l’acteur d’ajouter que «les injures qu’elle reçoit sont répugnantes» et qu’elle n’est «pas une fasciste d’extrême-droite».
Acte 7: Des comparaisons douteuses
Dans une nouvelle salve de tweets, J.K. Rowling persiste et signe: pour elle, les transitions de genre sont encouragées même si ce n’est pas une réponse adaptée au mal-être de jeunes gens. «Beaucoup de professionnels de santé s’inquiètent de voir que des jeunes à la santé mentale fragile sont orientés vers des hormones et des opérations chirurgicales alors que ce n’est pas dans leur intérêt», écrit-elle.
L’autrice va même jusqu’à parler d’un «nouveau genre de thérapies de conversion pour de jeunes gays». En revanche, elle nie de nouveau toute transphobie de sa part, expliquant qu’une transition peut être une solution pour certaines personnes, mais pas pour toutes.
En septembre 2020, J.K. Rowling publie un nouveau roman, «Sang Trouble», sous le pseudonyme de Robert Galbraith. L'œuvre parle d’un homme tueur en série qui commet ses crimes en s’habillant en femme et s’attire des accusations de transphobie. Deux ans plus tard, en août 2022, l’autrice publiera «The Ink Black Heart», nouveau roman policier dans lequel Edie, une femme, est accusée… de transphobie.
Acte 8: J.K. Rowling s’engage politiquement
En mars 2022, la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, porte un projet de loi visant à simplifier les démarches administratives pour changer de genre. Sans surprise, J.K. Rowling est contre. Sur Twitter, elle explique que cela «ferait du mal aux femmes les plus vulnérables, celles qui cherchent de l’aide après avoir [subi des violences sexistes et sexuelles de la part d’hommes] et les détenues».
Pour comprendre cette affirmation, il faut revenir quelques mois en arrière. En décembre 2021, J.K. Rowling s’insurge contre le fait que des hommes ayant commis des actes de violences sexuelles contre des femmes puissent ensuite être envoyés dans des prisons pour femmes s’ils ont transitionné. C’est le cas, en Écosse, d’une certaine Isla Bryson. Accusée de deux agressions sexuelles perpétrées alors qu’elle était encore un homme, la voici condamnée après sa transition et donc incarcérée avec des femmes. Cette polémique pousse plusieurs pays, dont la Suisse, à s’interroger sur la question de l’incarcération des personnes trans.
Un jeu et un podcast
C’est donc dans ce contexte qu’est sorti «Hogwarts Legacy», cible d’appels au boycott. Ceux-ci n’ont pas empêché le jeu de s’écouler à plus de 12 millions d’exemplaires dans le monde, générant un bénéfice qui frôle déjà le milliard de dollars. De son côté, l'autrice britannique a décidé de s’exprimer dans un podcast, «The Witch trials of J.K. Rowling» («les procès en sorcellerie de J.K. Rowling», en français). Seulement deux épisodes (sur 7 au total) sont sortis, dans lesquels il n’est pour l’instant pas vraiment question de transidentité ou de transphobie, mais plutôt d’autres critiques adressées à l’autrice dans les années 1990, lorsque certains extrémistes religieux (notamment catholiques) ont accusé les «Harry Potter» de pervertir la jeunesse.
Nul doute que l’écrivaine parlera une nouvelle fois de ses positions controversées. Depuis la fin du mois de janvier, elle n’a cessé sur Twitter de poster des messages contre la politique de Nicola Sturgeon et les trans activistes, les comparant notamment aux opposants des suffragettes du début du XXe siècle. Jusqu’au bout, J.K. Rowling assume tout.