Entre «Mad Men» et «Severance»
«Hello Tomorrow!», la série rétro-futuriste qui détruit le rêve américain

En cours de diffusion sur AppleTV+, les 10 épisodes de «Hello Tomorrow!» mettent en scène un VRP sans scrupule qui promet aux crédules une maison sur la lune. Une comédie charmante mais grinçante, aux accents anti-capitalistes.
Publié: 09.03.2023 à 21:07 heures
«Hello Tomorrow!» est une critique acide de l'idéal de réussite américain, campé dans un décor rétro-futuriste coloré.
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Il est toujours aussi délicieux de constater qu’une plateforme comme AppleTV+, qui appartient à l’une de ces multinationales tentaculaires symboles de la réussite capitaliste, finance et diffuse des fictions qui récusent complètement ce modèle. C’était déjà le cas avec l’excellente «Severance», série dans laquelle des salariés acceptaient de se faire implanter une puce dans le cerveau pour séparer complètement leur vie privée de leur vie professionnelle, et ainsi se montrer plus productif. Un second exemple est en cours de diffusion sur la plateforme: «Hello Tomorrow!» est une savante entreprise de démolition de l’idéal de réussite à l’américaine, doublée d’une comédie à l’esthétique soignée.

Nous sommes à Vistaville, commune fictive des États-Unis qui ressemble à toutes ces banlieues standardisées immortalisées notamment par Tim Burton dans ses films. Quand? Impossible de le savoir exactement. Il s’agit de toute évidence d’un futur proche, puisque les voitures volent et que des robots ont remplacé les serveurs des «diners», mais le design, la mode et l’industrie automobile se sont arrêtés dans les années 1950. Ce sont donc des Cadillac qui flottent, des personnages de cartoon qui pilotent des camionnettes vintage, et tout le monde est habillé comme dans «Mad Men».

Dans ce décor aussi charmant qu’étrange, Jack Billings sourit. Et, entre deux sourires, il parle. Jack est un VRP dans la plus pure tradition du métier, toujours en costume-cravate et toujours souriant, qui promet à tout le monde un avenir meilleur grâce à l’entreprise qui l'emploie, Brightside, et ses produits révolutionnaires. En l’occurrence, des pavillons sur la lune, désormais colonisée par l’Homme.

Personnages truculents

Pour convaincre ses pairs d’investir, Jack peut compter sur les autres employés dévoués de Brightside. La secrétaire Shirley, diablement efficace et entreprenante, le candide Herb, bien décidé à décrocher le titre de meilleur vendeur de l’année, et le vétéran Eddie. Rapidement, Jack embauche également le jeune Joey, dont la mère vient de tomber dans le coma après un accident -provoqué par les personnages de cartoon au volant, justement. Ce n’est pas un acte totalement altruiste: en réalité, Joey est son fils, qu’il n’a pas vu depuis 20 ans, et auquel il n’ose pas dire la vérité. La vérité, d’ailleurs, n’est pas le point fort de Jack. Brightside n’est peut-être pas une entreprise aussi florissante qu’elle en a l’air…

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«Hello Tomorrow!» séduit d’abord grâce à son esthétique rétro-futuriste délicieuse, puis ses personnages truculents, tous solidement interprétés. Dans le rôle de Jack, Billy Crudup (aperçu dans le film «Watchmen» ou la série «The Morning Show») est un argument à lui seul pour regarder la série. Autour de lui, Alison Pill, Haneefah Wood, Dewshane Williams et, surtout, Jacki Weaver, fabuleuse dans le rôle de la mère de Jack, tirent chacune de leurs scènes respectives vers le haut. Mais sous les brushings impeccables et les moquettes jaunes de motel, derrière les sourires ultra-bright et les bars qui servent des cocktails à l’ancienne, se cache un propos au vitriol.

Tout est beau, mais tout est faux

Dans «Hello Tomorrow!», tout est beau, mais rien ne fonctionne vraiment. Les numéros à appeler redirigent vers des centres d’appel automatiques, les repas censés se cuire tout seul sortent carbonisés de leur barquette d'aluminium et toutes les nouvelles technologies du monde n’ont pas empêché les pères de famille quinquagénaires de se retrouver au chômage. En dix épisodes, la série révèle ses névroses à l’Amérique, qui n’a jamais réussi à ressembler ne serait-ce qu’un peu à ce que ses publicitaires ont bien voulu vendre sur du papier glacé. Les pavillons n’abritent pas des couples parfaits, mais des hommes infidèles et des desperate housewives auxquelles il ne reste rien d’autre que rêver d’une autre vie très loin (sur la Lune).

Le mensonge est partout et, à mesure que l’entreprise Brightside se casse la figure, contamine tout le monde, même l’employé le plus zélé. Plus que cela, le mensonge est le ciment même du métier de Jack, qui assume opérer sur «le marché de l’espoir» et en vient lui-même à croire en ses propres bobards. Qu’importe que tout ceci ne soit que du vent, tout le monde a besoin de rêver pour continuer de vivre. Comme le résume Herb dans l’une des répliques les plus drôles de la série, «ce n’était pas faux, c’était optimiste».

Mais, et c’est là aussi une qualité, «Hello Tomorrow!» évite de sombrer dans le cynisme le plus absolu. Car au fond, même les VRP qui mentent avec un aplomb déconcertant poursuivent leur propre quête de bonheur et d’apaisement. Shirley ne désespère pas de sauver les gens, comme Jack n’abandonne pas son rêve d’être enfin un bon père. Et tous ces personnages, même vils et pathétiques, sont suffisamment attachants pour que l’on croie, nous aussi, à leur idée d’aller marcher sur la lune.

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