Il n’y a pas de western sans histoire de l’Amérique. Les lonesome cow-boys qui arpentent les vastes plaines de l’Ouest, les attaques de diligence, la nécessité de conquérir l’espace et d’y instaurer la loi, l’ordre et la justice: toutes ces scènes et ces thèmes colportés par le cinéma américain ont accompagné et renforcé la construction d’un État et d’une nation. Une nation bien blanche (longtemps, les westerns ont présenté les Amérindiens comme des sauvages à éliminer) et bien patriarcale (la figure du cowboy étant ce qui se fait de plus caricatural en la matière). On pourrait alors être tenté de croire qu’en 2023, le western n’a plus rien à dire. Le monde a changé, l’Amérique a eu sa dose de mythes fondateurs, sûrement est-il temps de passer à autre chose.
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Cavalcade de nouveaux westerns
Pourtant, chaque fois qu'on l'a cru mort ou dépassé, le western a survécu. Aujourd’hui, ce renouvellement se fait surtout dans les séries, où les chapeaux, les fusillades dans les saloons et les chevaux ont la part belle. Dernière preuve en date: la sortie lundi 13 février de «Django», énorme coproduction européenne, sur Canal+. En dix épisodes, cette série ressuscite le héros du film éponyme de Sergio Corbucci, solitaire vétéran de la guerre de Sécession éprouvé par le deuil. Toujours sur Canal+, «The English» débarque fin mars pour raconter l’histoire d’une Anglaise lancée à la poursuite du responsable de la mort de son fils dans l’Ouest américain à la fin du XIXe siècle.
Impossible, évidemment, de ne pas citer la saga «Yellowstone» (visible en Suisse sur Canal+), immense carton aux États-Unis, dont la cinquième saison est en cours de diffusion. Kevin Costner y incarne John Dutton, riche propriétaire d’un ranch dans le Montana, qui doit composer avec des rivalités de famille et des promoteurs immobiliers très gourmands. Le succès est tel qu’un prequel, «1883», a été produit et diffusé. Un second, «1923», avec Harrison Ford et Helen Mirren, est attendu début avril (toujours sur Canal+ via la nouvelle offre Paramount+). Et une troisième série dérivée, «6666», est en projet. De son côté, Prime Video vient de renouveler pour une deuxième saison «Outer Range», qui plante son décor dans un ranch du Wyoming.
«Un genre qui permet de parler du moment présent»
Pour Francesca Comencini, la réalisatrice italienne de «Django», ce regain de popularité n’est ni étonnant, ni anachronique. «Le western est une fable dans laquelle on laisse entrer les adultes. Comme toutes les fables, il a donc quelque chose d’antique, explique-t-elle. Mais je pense que c’est aussi un genre qui permet, peut-être plus que d’autres, de parler du moment présent. Il montre des personnages dans un état d’urgence, seuls face à des forces écrasantes. Cela parle des possibilités de vivre et de survivre. Les westerns des années 1970 parlaient des conflits politiques de l’époque.»
Dans la série «Django» par exemple, le héros, incarné par l’acteur belge Matthias Schoenaerts, rejoint La Nouvelle Babylone, une ville fondée par un esclave affranchi et qui accueille tous les marginaux et parias de la région. Finalement bien plus proche de nos métropoles contemporaines que des villes américaines du XIXe siècle. Surtout, l’antagoniste de la série est une femme, Elizabeth, bigote et réactionnaire, en perpétuelle croisade contre toute manifestation d’immoralité. Difficile de ne pas voir, alors que la série a été créée et écrite par une brochette de scénaristes italiens, un lien avec l’élection de Giorgia Meloni, figure d’extrême droite, chez nos voisins transalpins.
Se rassurer quand rien ne va plus
«Regardez le monde aujourd’hui, on est un peu revenus dans le Far West», avance de son côté Chaske Spencer, acteur américain d’ascendance amérindienne, qui incarne un ancien soldat du peuple Pawnee dans la série «The English». «Il y a beaucoup d'incertitudes et beaucoup de gens peuvent s’identifier» au western, estime-t-il auprès de «Variety».
Paradoxalement, cela peut avoir un effet très rassurant. «Le genre renvoie à une époque plus simple, où les possibilités étaient infinies et la justice sommaire, analyse dans 'Western Life Today' l’autrice et réalisatrice Petrine Day Mitchum, qui tourne actuellement une série documentaire sur la culture et la mode western. Le héros classique du western est un individu intrépide, indépendant, débrouillard et prêt à corriger toutes les injustices. Ce sont des qualités auxquelles nous aspirons toutes et il est donc très satisfaisant de s’identifier à ces héros, surtout en des temps troublés. Avec tous les bouleversements que connaît la société, ce n’est pas très étonnant de voir le genre western revenir en force, même s’il n’a jamais vraiment disparu.»
Pour Taylor Sheridan, le créateur de «Yellowstone», le western raconte à la fois la beauté et les défauts des États-Unis. «Je pense qu’il est important d’aimer l’endroit où vous vivez et [l’Amérique] est un pays très spécial, explique-t-il dans les colonnes de ‘Variety’. Vous pouvez l’aimer et tout de même interroger ce qui s’y passe, hurler contre certaines choses. Je pense qu’on est censés le faire. J’essaie de le faire. Et c’est un cri d’amour.»
Coup de «polish» nécessaire
C’est précisément dans cette interrogation, dans cette indignation, que réside la modernité du western. Car il est hors de question de faire aujourd’hui la même chose que dans les années 1940, quand les Amérindiens n’étaient que des antagonistes et les femmes rarement visibles dans d’autres rôles que celui de prostituées. «On a vu des femmes fortes dans les westerns classiques mais le genre était typiquement le domaine du mâle alpha, abonde Petrine Day Mitchum. Les westerns populaires aujourd’hui, qu’ils soient historiques comme ‘1883’ ou contemporains comme ‘Yellowstone’, montrent des protagonistes féminins avec les caractéristiques classiques des cowboys.»
L’un des personnages principaux de «Yellowstone» est Beth, la fille du patriarche, incarnée par l’actrice anglaise Kelly Reilly. L’excellente mini-série «Godless», sur Netflix, imagine une ville entièrement habitée et régie par des femmes. Dans «Django», le poids du passé esclavagiste des États-Unis et les relations interraciales sont un arc narratif primordial. Les personnages d’Américains natifs prennent aussi de l’importance, avec par exemple un chef indien dans «Yellowstone» et un éclaireur pawnee dans «The English». Finalement, le genre lui-même a su suivre en tous points la morale darwinienne distillée par nombre de westerns, à commencer par l’inégalable «Il était une fois dans l’Ouest», de Sergio Leone: pour survivre, il faut savoir s’adapter.