Le 3 mars, les urnes verront s'affronter deux initiatives opposées sur la question de la retraite et de l'AVS. Le peuple suisse devra se prononcera sur deux projets: d'une part, l'initiative populaire de l'Union syndicale suisse, chapeautée par Pierre-Yves Maillard, «Mieux vivre à la retraite», qui demande une 13e rente AVS pour tous les retraités.
D'autre part, l'initiative sur les rentes des jeunes libéraux-radicaux «Pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne». Cette dernière demande un relèvement de l'âge de la retraite des hommes et des femmes à 66 ans.
Pour vous aider à y voir plus clair, Blick vous explique ce qu'il faut absolument savoir sur ces deux initiatives avant d'affranchir son enveloppe.
Que demandent concrètement les deux initiatives?
L'initiative populaire de la gauche demande, comme son nom l'indique, l'introduction d'une 13e rente AVS. Un «oui» impliquerait donc qu'un 13e mois de salaire soit versé aux seniors, en plus des douze rentes mensuelles actuelles.
Pour une rente complète, les personnes seules recevraient alors un supplément d'au moins 1225 francs allant jusqu'à 2450 francs au maximum par an. Les couples recevraient quant à eux jusqu'à 3675 francs supplémentaires. A noter cependant que les prestations complémentaires (PC) ne pourront pas être réduites pour autant.
L'initiative sur les rentes des jeunes de la droite vise à augmenter l'âge de la retraite. Ce dernier devrait passer de 65 à 66 ans d'ici à 2033 en augmentant progressivement. L'âge de la fin de carrière dépendrait de l'évolution de l'espérance de vie. En fonction de l'espérance de vie supplémentaire, l'âge de départ augmenterait alors de 0,8 mois, pouvant donc monter d'office jusqu'à 67,68 ans ou plus.
Combien coûterait chaque initiative – et qui va payer?
Cette année, la Confédération prévoit un budget de plus de 50 milliards de francs juste pour les dépenses de l'AVS. Une 13e rente AVS augmenterait encore cette somme d'un douzième, soit 8,3% dès 2026. Les caisses de l'AVS nécessiteraient donc 4,2 milliards de francs supplémentaires. Et puisque la génération du baby-boom arrive gentiment à la retraite, environ 5 milliards de francs supplémentaires seraient encore nécessaires en 2030.
Au cours des prochaines années, il devrait y avoir suffisamment d'argent dans les caisses, grâce notamment au relèvement de l'âge de la retraite des femmes et à la hausse de la TVA. La Confédération s'est en outre engagée à payer un cinquième des coûts, si les dépenses venaient toutefois à augmenter.
Mais à terme, un financement supplémentaire serait nécessaire. Les initiateurs de «Mieux vivre à la retraite» laissent délibérément la question ouverte lorsqu'on leur demande comment tout cela sera financé.
Pas de réponse précise donc, mais de nombreuses idées. Par exemple, des pourcentages de salaire plus élevés, ce qui représenterait environ 0,8 point de pourcentage, soit 0,4 pour l'employeur et 0,4 pour l'employé. Ceux-ci pourraient également être transférés des caisses de pension vers l'AVS. Il serait aussi possible d'augmenter la TVA, ce qui nécessiterait 1% supplémentaire. On pourrait par ailleurs envisager un impôt sur les transactions financières ou un impôt sur les successions en faveur de l'AVS. Ou encore de l'argent de la Banque nationale, dès que celle-ci enregistrera à nouveau des bénéfices extraordinaires.
En revanche, l'initiative sur les rentes des jeunes libéraux-radicaux ne devrait rien coûter, si ce n'est plus de temps de travail. Sur le plan financier, l'initiative pourrait grandement soulager les caisses qui se vident, à hauteur d'un bon milliard de francs d'ici 2030.
Dans quelle mesure une 13e rente AVS est-elle sociale?
L'AVS est au cœur de notre État social, notamment grâce à son système de financement. D'une part, les cotisations AVS, actuellement de 8,7%, sont payées à parts égales par les employeurs et les employés. D'autre part, l'AVS s'applique à l'ensemble du salaire. Le millionnaire paie donc nettement plus que la personne qui gagne peu. Mais la rente est, rappelons-le, limitée à 2450 francs par mois au maximum. Par conséquent, près de 90% des rentiers AVS reçoivent davantage d'argent qu'ils n'ont jamais cotisé.
Quant à déterminer le caractère social d'une 13e rente AVS, cela dépend de son financement. Si elle est financée par exemple par un pourcentage sur les salaires, elle le serait, car les hauts revenus paieraient beaucoup plus que les salaires plus modérés. Un financement au travers de la TVA serait moins social, car elle pèserait proportionnellement davantage sur les revenus les plus bas. Les impôts pourraient aussi augmenter, comme le soulignait récemment la ministre des Finances Karin Keller-Sutter.
La 13e rente AVS est-elle une innovation?
Non, il existe déjà des États qui distribuent une 13e, voire une 14e rente de retraite. L'exemple le plus parlant pour la Suisse est celui du Liechtenstein. Dans ce pays, un supplément du nom de «prime de Noël» est versé chaque début décembre. Cette prime de Noël a été introduite en 1992, en débutant par un versement supplémentaire de 25% sur la pension de décembre. En 1994, le montant de la prime a bondi à 50% et en 1998, à 100% de la pension de décembre.
Certains Suisses ont également droit à une 13e rente AVS versée par le pays voisin. «13% des montants versés vont en Suisse», indique-t-on auprès des autorités compétentes.
Le Liechtenstein n'est pas le seul pays à jouir d'une rente supplémentaire comme le réclame l'initiative des syndicats. En Autriche et au Portugal, les retraités reçoivent 14 versements, constate l'Union syndicale. L'Italie connaît aussi 13 rentes ainsi qu'une 14e rente supplémentaire jusqu'à un seuil de revenu fixé par la loi, appelée la «somma aggiuntiva». Le montant de cette «somme supplémentaire» dépend des années de cotisation effectuées.
Enfin, au Danemark, les retraités en difficultés financières qui ne disposent pas d'économies liquides se voient verser une fois par an une prestation de retraite sous condition de ressources. «Celle-ci est légèrement supérieure à une pension mensuelle», précise le document.
Dans quel pays les gens travaillent-ils déjà au-delà de 65 ans?
Allonger le départ à la retraite et travailler au-delà de 65 ans, vous paraît insurmontable? Pourtant, cela existe déjà dans de nombreux pays. Certains Etats disposent même d'un mécanisme d'adaptation plus ou moins automatique qui lie directement l'âge de la retraite à l'espérance de vie. C'est le cas de la Bulgarie, du Danemark, de l'Estonie, de la Finlande, de la Grèce, de l'Italie, des Pays-Bas, du Portugal et de la Suède, comme le montre un rapport de l'Office fédéral des assurances sociales.
En Italie, par exemple, l'âge de la retraite est passé depuis 2012 de 60 à 67 ans aujourd'hui. Aux Pays-Bas, l'âge de la retraite était de 66 ans et sept mois en 2022 et sera désormais progressivement porté à 67 ans. En Suède, l'âge de la retraite sera également fixé à 67 ans à partir de 2026. Au Danemark, l'âge de la retraite devrait passer de 67 ans aujourd'hui à 68 ans en 2030, et même à 69 ans en 2035.
Mais il n'y a pas que des hausses, comme le montre l'exemple du Portugal: entre 2014 et 2022, l'âge de la retraite a certes été relevé de 66 ans à 66 ans et sept mois, mais il a de nouveau été abaissé de trois mois l'année dernière.
Qui est pour et qui est contre?
Derrière les syndicats à l'origine du projet, le Parti socialiste (PS) et les Vert-e-s soutiennent l'initiative pour une 13e rente AVS. Leur argument principal est le suivant: la rente supplémentaire renforcerait le pouvoir d'achat de tous les seniors, surtout en période de hausse des loyers, des primes d'assurance maladie et de renchérissement. La proposition permettrait également de compenser la baisse des rentes des caisses de pension, qui ne sont généralement pas compensées par le renchérissement.
L'initiative est plutôt bien accueillie, même dans le camp bourgeois. Certes, le PLR, le Centre et le PVL la rejettent. La majorité des partisans de l'UDC s'oppose, elle aussi, avec véhémence à ce projet. Mais contre toute attente, le projet a trouvé un certain écho au sein de la base du parti de droite.
Ainsi, le parti cantonal genevois a décidé de voter pour, et l'UDC du Bas-Valais a pris le pari de laisser la liberté de vote à son éléctorat. D'autres sections cantonales du parti pourraient suivre. Selon les derniers sondages, l'initiative a de réelles chances d'être acceptée par les électeurs.
L'initiative sur les rentes se heurte, elle, à une plus grande résistance. Les syndicats et la gauche ne l'épargnent pas. Le Centre et les Vert'libéraux lui font également barrage. Le groupe parlementaire de l'UDC ne s'est pas non plus montré plus soutenant. Il faudra attendre fin janvier pour connaître le mot d'ordre officiel de l'assemblée des délégués.
Pour les partisans, de l'initiative, en revanche, les choses sont claires: ils ne veulent pas sauver l'AVS par des coûts supplémentaires, mais par un âge de la retraite plus élevé. «Les chiffres montrent que nous courons les yeux fermés vers une tempête démographique aux conséquences financières gigantesques», déclare le président des jeunes libéraux-radicaux Matthias Müller. Outre les jeunes partis, l'association faîtière de l'économie Economiesuisse, l'Union patronale suisse, l'Union suisse des arts et métiers, l'Association Suisse d'Assurances et le parti mère, le Parti libéral-radical (PLR), s'engagent en faveur du projet des jeunes politiciens.