Dans les rues, l'affiche des Jeunes socialistes vous a sûrement frappé, tant elle détonne. Un grand soleil jaune illumine une région nappée de rouge. Et un groupe de jeunes gens, munis d'un drapeau rouge, regardent au loin. Devant eux, un cycliste, une ville en bord de lac et les montagnes.
«Fini les crises, à nous l'avenir»: le slogan projette dans le futur. Mais le dessin et l'iconographie vous renvoient forcément à vos cours d'histoire. Allez… vous vous souvenez, le chapitre sur la Guerre froide. Alors, pour en détailler le contenu, qui de mieux qu'un prof de gymnase, en la personne de Dominique Dirlewanger.
Les stigmates de l'extrême gauche
«Cette affiche pioche dans deux référentiels de l'extrême gauche, assure à Blick l'historien et chercheur associé à l'UNIL. Le drapeau rouge et la composition du peuple sur la gauche font directement écho au parti communiste soviétique des années 1930 en Russie. Et ce soleil et les teintes jaunes, c'est la Chine maoïste, dans les années 1950-1960.» Et là, elles vous reviennent: les heures barbantes passées à écouter parler communisme et propagande, à analyser les silhouettes de Staline et de Mao guidant la nation.
Intentionnelle ou non (nous y reviendrons), cette référence historique à des régimes communistes a choqué son monde, en particulier sur les réseaux. Watson avait pris les devants, en avril dernier, à peine la communication politique dévoilée. Devant les nombreuses réactions, parfois indignées, sur Twitter (devenu X quelques mois plus tard), nos «camarades» journalistes avaient abordé les critiques que de telles références pouvaient soulever.
Sous le post des Jeunes socialistes alémaniques, un internaute, qui se présente comme «un gauchiste qui vote PS depuis 37 ans», se remémore: «J'étais en RDA, en Tchécoslovaquie et en Union soviétique, les affiches étaient exactement les mêmes. Et ce n'était PAS une bonne époque!»
Une «fausse nostalgie» complètement «passéiste»?
Un autre «gauchiste» est resté dubitatif devant les choix de graphisme. Il s'agit de Joseph Zisyadis, ancien conseiller d'État et conseiller national pour le Parti ouvrier populaire (POP). Le Vaudois d'origine grecque nous a partagé son étonnement entre deux cueillettes d'olives, depuis son pays d'origine: «J'ai d'abord cru qu'il s'agissait de mes camarades POP alémaniques, qui sont très nostalgiques de cette période, glisse-t-il au bout du fil. Ce n'est pas du tout mon cas.»
Pour lui, cette affiche s'avère «complètement passéiste» donne dans «la fausse nostalgie» et serait «totalement inopérante au regard du monde du travail actuel». L'ancienne figure politique a eu l'impression d'ouvrir un cahier scolaire des années 1930. «C'est une période où le stalinisme m'a fait horreur, détaille-t-il. Notre pensée est en mouvement et ne dois pas rester figée sur des modèles passés. Mais dans les milieux qui sont les miens, ce n'est pas l'avis général.»
Une simple affiche touristique?
Devant les critiques, les «JUSO», de leur nom suisse alémanique, n'assument pas tout à fait leurs références iconographiques. «Ce n’est pas du tout une référence à l’URSS ou à la Chine, nous affirme Thomas Bruchez, vice-président de la Jeunesse socialiste suisse. Nous voulions avant tout sortir de nos habitudes avec une affiche dessinée. Pour cela, nous nous sommes inspirés, entre autres, des affiches touristiques du 20e siècle en Suisse, avec leurs paysages resplendissants. Et nous avons ajouté des éléments classiques de la gauche comme notre code couleur et le drapeau rouge.»
Le jeune Genevois, étudiant en droit, n'en démord pas. Face aux critiques, il assure que cette affiche a été instrumentalisée par la droite pour coller à un narratif éculé: celui de taxer les JS d'extrémisme. «Dès qu'il y a du rouge sur une de nos affiches, les critiques de ce genre affluent, déplore Thomas Bruchez. Or, il se trouve que c'est notre couleur politique.»
La référence aux affiches touristiques du 20e siècle interpelle l'historien Dominique Dirlewanger. Celui qui se situe volontiers plutôt à gauche de l'échiquier politique s'amuse du déni dont font preuve les socialistes en herbe. «À la place des auteurs, j'assumerais pleinement le référentiel soviétique et maoïste, garanti l'enseignant. L'efficacité de cette affiche est à relever. On parle de la JUSO comme on ne l'a pas fait depuis 20 ans.»
«C'était mieux avant» à la sauce rouge?
Et à propos de nostalgie des régimes communistes? Thomas Bruchez se défend d'avoir voulu choquer intentionnellement, afin de toucher une certaine fibre nostalgique du communisme. «Je comprends que cela ait pu avoir cet effet-là, mais l'intention n'est pas de faire référence au passé communiste. Nous voulions vraiment avoir une affiche tournée vers l'avenir, qui suscite un message d'espoir.»
Pour lui, voir de la nostalgie dans cette affiche est une lecture erronée. Il assure que personne au sein de son camp politique ne perçoit le stalinisme «comme autre chose qu'une période de dictature affreuse.» Et de continuer: «Ce qui a pu exister là-bas n'a rien à voir avec notre idéal de démocratie, de liberté, d'égalité.» Il estime qu'en dehors de «quelques personnes isolées» ou «de droite», tout le monde a trouvé cette affiche très esthétique et a compris son «message d'avenir radieux».
Bad buzz is still buzz
Alors, faut-il en faire tout un fromage communiste? Pas pour Thomas Bruchez: «Les débats sur le visuel de l'affiche étaient assez anecdotiques. Le cœur de la campagne était centré sur les idées politiques.» Quant à savoir si son succès sera perceptible dans les urnes, il faudra attendre le grand soir des élections.
Tous ne sont pas aussi optimistes que le jeune député suppléant au Grand conseil genevois. Joseph Zisyadis se montre plutôt mesuré: «À part le fait que les gens l'ont remarquée, je ne pense pas qu'elle apportera un grand succès aux jeunes socialistes.» Et pour Dominique Dirlewanger? Il trouve que cette affiche est très «gentillette» et «ne porte ni haine, ni violence». Et de préciser: «Ce n'est pas du tout le Grand soir, ce n'est pas du tout la violence des masses en train de reprendre le palais d'hiver.»
Pour lui, le foin autour de cette affiche fait surtout le jeu de la jeunesse socialiste. «Si la polémique, c'est de dire 'voter socialiste, c'est voter pour les goulags', on est dans une rhétorique anti-communiste très bas de gamme, qui rappelle les années de la Guerre froide», conclut l'historien.