«Temu se déresponsabilise»
Les nouvelles conditions des Temu fâchent les experts

L'application chinoise de shopping a introduit de nouvelles conditions d'utilisation en Suisse. Les spécialistes du commerce électronique critiquent ces changements et demandent que les règles du jeu soient les mêmes pour tous.
Publié: 30.11.2024 à 18:59 heures
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Dernière mise à jour: 30.11.2024 à 19:01 heures
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Les nouvelles conditions d'utilisation suisses de Temu attisent la colère.
Photo: Keystone
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Andreas Güntert

En règle générale, les utilisateurs de Temu s'intéressent surtout aux prix cassés, aux nouveaux produits et à tous les jeux-concours qui sont organisés en permanence sur la célèbre application chinoise de shopping. Les conditions d'utilisation, elles, ne suscitent pas d'intérêt. Les obligations entre Temu et les consommateurs suisses sont réglées dans un texte de plus de 6500 mots. Il faut vraiment y regarder de très près pour y déceler les points importants.

Bernhard Egger est l'une de ces personnes. «Nous avons remarqué que Temu a récemment modifié ses conditions d'utilisation en Suisse», déclare le directeur de l'association de commerçants suisses Handelsverband.swiss. L'entreprise chinoise, qui accepte depuis longtemps les paiements par Twint, semble au premier abord favoriser les consommateurs suisses. Mais un simple coup d'œil montre qu'il s'agit plutôt d'un simple «Swiss-Washing».

«Temu se déresponsabilise»

Ce qui saute aux yeux de Bernhard Egger et d'autres professionnels suisses du commerce en ligne, c'est le paragraphe 17.3. Auparavant, celui-ci stipulait que le droit irlandais s'appliquait pour la clientèle des pays qui ne font pas partie de l'Union européenne (UE). Désormais, il est dit textuellement: «Si vous êtes domicilié en Suisse, le droit suisse s'applique.» Bernard Egger déclare saluer en général ce genre d'initiatives, sauf qu'il y a un hic. «Dans la réalité, il s'avère que Temu veut simplement se donner un peu de suissitude», soulève-t-il. 

Mais c'est surtout un autre paragraphe qui va fortement «à l'encontre des intérêts des consommatrices et consommateurs suisses». Il s'agit du point 9.1 des conditions d'utilisation de Temu: «Nous ne sommes pas responsables des réclamations ou des litiges qui peuvent survenir entre les utilisateurs de Temu. Si un litige survient sur Temu entre vous et un autre utilisateur ou un tiers, nous ne sommes pas tenus de nous en mêler.» 

Pour l'expert, c'est là que le bât blesse: «Avec cette clause de non-responsabilité, Temu se dégage clairement de toute responsabilité. L'entreprise reporte toute responsabilité du produit sur le responsable de la mise en circulation, en l'occurrence le consommateur suisse.»

Lutte pour l'égalité des chances

Selon Bernhard Egger, il est logique qu'un commerçant soit le responsable de la mise en circulation: «Si Temu souligne ainsi son rôle de plateforme et renvoie la responsabilité à ses innombrables producteurs, c'est une tâche presque insurmontable pour les consommateurs suisses. Ils ont un contact principal avec Temu, mais pas avec les fournisseurs, qu'on ne peut généralement pas trouver.» Selon lui, Temu se déresponsabilise ainsi «complètement», ce qui est «injuste» pour les clients. 

Ce dernier incident s'inscrit dans une large série de déclarations et d'interventions critiquées. Des commerçants connus en Suisse comme Roland Brack s'agacent du fait que la concurrence avec Temu ne soit pas «à armes égales». La Swiss Retail Federation, association suisse des entreprises de commerce de détail, s'était déjà saisie du sujet, en intervenant auprès du Secrétariat d'État à l'économie (Seco) au sujet de Temu dès le printemps 2024.

«
Le rôle de simple intermédiaire est à nouveau mis en avant pour éviter toute responsabilité vis-à-vis du consommateur
Anne-Christine Fornage, professeure de droit privé et de droit de la consommation à l'Université de Lausanne
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Bernhard Egger est soutenu par Anne-Christine Fornage, professeure de droit privé et de droit de la consommation à l'Université de Lausanne et présidente de la Commission fédérale de la consommation (CFC): «Temu prétend n'être qu'un intermédiaire qui n'est pas partie au contrat.» Selon elle, cette stratégie avait déjà été utilisée par Uber pour se soustraire à ses obligations envers les chauffeurs, en arguant qu'ils n'étaient pas des employés mais des indépendants. 

Pas pour le Tribunal fédéral, qui a rendu une décision différente en 2022. Dans le cas présent, selon Anne-Christine Fornage, «le rôle de simple intermédiaire est à nouveau mis en avant pour éviter toute responsabilité vis-à-vis du consommateur».

Temu se justifie

Mais au fond, pourquoi l'application de shopping chinoise a-t-elle modifié ses conditions d'utilisation suisses? Serait-ce parce que Temu subit de fortes pressions de la part de différentes organisations suisses? Pas selon un porte-parole de Temu. Il précise que la clause 17.3 aurait été introduite en Suisse «pour adapter nos conditions d'utilisation au cadre juridique en Suisse».

Temu n'explique toutefois pas en détail pourquoi une clause de non-responsabilité reste en vigueur, mais se justifie globalement de la manière suivante: «Nous soutenons activement nos clients dans le traitement des réclamations ou des litiges avec les vendeurs et veillons à ce qu'ils ne soient pas seuls dans de telles situations.» L'équipe du service clientèle serait joignable à tout moment via le site web et l'application, afin de faciliter la communication entre les clientes et les vendeurs, mais aussi de résoudre les problèmes de manière efficace et équitable.

C'est peut-être vrai. Mais la situation est juridiquement difficile. La clause 9.1 continue de dire que Temu n'est pas responsable des réclamations ou des litiges, qui peuvent survenir entre les utilisateurs et utilisatrices de Temu. La firme refuse en outre d'expliquer pourquoi cette clause n'a pas été formulée de façon plus «conviviale» avec les nouvelles conditions d'utilisation, dans la dernière mise à jour de la mi-octobre. Et d'assurer: «Nous révisons et améliorons constamment la formulation de nos conditions d'utilisation et nous sommes heureux de recevoir les commentaires de nos utilisateurs, afin de les rendre aussi claires que possible.»

Un chiffre d'affaires estimé à plus de 700 millions

Le charivari autour des nouvelles conditions d'utilisation de Temu peut paraître exagéré pour les consommateurs d'e-commerce. Mais en fin de compte, ce sont ces textes qui règlent les droits et obligations des parties. 

Il n'est pas possible de savoir à quel point cette nouvelle réglementation dérange les consommateurs suisses. Ce qui est clair, en revanche, c'est que la plateforme chinoise, qui est active en Suisse que depuis le printemps 2023, continue d'enregistrer des chiffres records. 

La société de conseil en e-commerce Carpathia, basée à Winterthour, estime le chiffre d'affaires suisse de Temu à 350 millions de francs pour l'année 2023. Mais selon Carpathia, l'application de shopping chinoise se situe déjà à «plus de 700 millions de francs» pour l'année en cours. Au cours de sa deuxième année d'activité en Suisse, Temu ferait ainsi un bond de la neuvième à la sixième place dans la liste des plus grandes boutiques en ligne suisses, dépassant même un commerçant en ligne suisse bien établi comme Brack.ch.

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