En Suisse, plusieurs dizaines de milliers de personnes souffrent d'apnée du sommeil. Il s'agit principalement d'hommes qui, la nuit, ont de brefs arrêts respiratoires et ronflent de manière irrégulière. Pendant la journée, ils luttent contre une fatigue paralysante, se plaignent de maux de tête et ont du mal à se concentrer.
C'est pourquoi beaucoup utilisent un respirateur artificiel durant la nuit. Ils ne ronflent plus, les arrêts respiratoires disparaissent. Ce dispositif leur permet d'être davantage éveillé la journée. Pour environ 5,6 millions d'appareils de ce type dans le monde, le leader du marché Philips a émis un «avertissement de sécurité urgent» en été 2021. En Suisse, près de 30'000 respirateurs ont dû être réparés ou remplacés.
Plusieurs appareils fabriqués avant 2021 ont connu deux problèmes à la fois. D'une part, la mousse amortissant le bruit à l'entrée d'air s'est décomposée. Des particules de cette mousse peuvent pénétrer dans les poumons des patients via le tuyau et le masque. D'autre part, certains appareils peuvent dégager une substance chimique potentiellement dangereuse pour la santé, appelée COV (composés organiques volatils).
A lire aussi sur les coûts de la santé
Pendant des mois, Philips n'a pas tenu ses promesses
Une enquête du «Beobachter» prouvent que Philips savait depuis des années, et ce, bien avant le rappel, que la mousse se décomposait. En interne, des informations détaillées étaient rendues disponibles sur la possibilité d'inhaler des substances potentiellement toxiques à travers l'appareil. Le rappel lui-même s'est déroulé dans des circonstances douteuses et avec un grand retard. C'est ce que démontrent des documents de Swissmedic que le «Beobachter» a pu consulter, grâce à la loi sur la transparence.
Quatre décisions de Swissmedic qui ont permis de mettre en demeure le fabricant Philips entre août 2021 et décembre 2022 le démontrent: Pendant des mois, Philips n'a pas respecté ses propres promesses. L'entreprise n'a répondu que de manière incomplète, voire pas du tout, aux questions concernant les tests de matériel et leur potentiel de danger.
«Au moins 175'000 plaintes»
Il ressort clairement des documents de Swissmedic que Philips avait connaissance depuis des années du fait que la mousse utilisée depuis 2008 dans différents types d'appareils se décomposait et libérait des produits chimiques. Swissmedic fait référence à des «réclamations antérieures de clients» datant de 2014. Et un rapport de l'autorité américaine des médicaments (FDA), cité par Swissmedic, fait état de 175'000 plaintes pour la seule période de 2008 à 2017.
La critique de l'autorité de surveillance américaine est claire: «En réponse à au moins 175'000 plaintes potentiellement liées à la mousse décomposée, [...] aucune enquête formelle, analyse de risque ou mesure corrective n'a été lancée, réalisée ou documentée.» La conclusion de l'inspectrice responsable est la suivante: «L'analyse des plaintes et des rapports concernant les dispositifs médicaux n'a pas été effectuée de manière adéquate pour identifier ou détecter les problèmes de qualité.»
Une évaluation des risques datant de mai 2018 est également documentée: il s'agissait alors de 17 cas dans lesquels de la mousse isolante décomposée avait été constatée dans les respirateurs. Un test de décembre 2018, au cours duquel de la mousse s'est désagrégée dans les appareils, est également documenté.
«Incompréhensible» pour Swissmedic
En janvier 2019, les indices se multiplient: Philips a effectué des tests supplémentaires selon un rapport d'inspection de la FDA. Résultat: lors de la première utilisation d'un appareil respiratoire, les composés de formaldéhyde dépassaient les valeurs limites autorisées. Il ressort du document de l'autorité américaine que Philips a été «informé» en mai 2019 que quatre appareils respiratoires contenant de la mousse décomposée avaient été retournés à un centre de service. Dans une «évaluation des risques», les dangers biologiques et toxicologiques liés à la mousse ont été qualifiés de «problématiques».
Selon les documents de Swissmedic, Philips aurait dû réagir en été 2020. A cette date, au plus tard, le fabricant disposait même d'«informations détaillées» sur les dangers réels. Malgré cela, une année s'est encore écoulée avant un avertissement officiel. Fin 2020, il était même question chez Philips d'un «risque potentiel pour les patients». Swissmedic a déclaré à ce sujet en août 2021: «Dans ce contexte, on ne comprend pas» pourquoi les appareils concernés par les avertissements de sécurité ont malgré tout continué à être «fabriqués sans modification et mis en circulation en Suisse» jusqu'en avril 2021.
«Prétendues erreurs de fonctionnement»
Puis, une nouvelle dynamique s'est mise en place. Entre avril 2021 et fin octobre 2022, Philips a enregistré, selon l'autorité de surveillance américaine, 90'000 plaintes, «dont 260 rapports de décès qui seraient peut-être liés à la dégradation de l'ancienne mousse», comme le note Swissmedic.
Le groupe prend position et affirme auprès du «Beobachter»: «Le dépôt d'une plainte ne prouve pas que le dispositif a provoqué l'événement indésirable ou y a contribué». Et de préciser: «Dans la grande majorité des plaintes déposées depuis avril 2021, il s'agit de prétendus dysfonctionnements pour lesquels aucune blessure grave ou décès n'a été signalé.»
Peu après l'alerte de sécurité mondiale lancée par Philips en juin 2021, Swissmedic a assailli de questions le fabricant de l'appareil et lui a demandé divers «documents en suspens, importants et critiques en termes de temps».
Swissmedic voulait ainsi savoir pourquoi Philips n'avait pas stoppé la fabrication et la distribution des appareils potentiellement dangereux pour la santé au plus tard en juillet 2020. En effet, c'est de cette année que date l'évaluation des risques qui documente le fait que des substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé s'échappent du matériau isolant en décomposition.
Philips a continué à affirmer à Swissmedic n'avoir eu connaissance du risque pour la santé qu'à partir de fin 2020/début 2021, ce à quoi Swissmedic s'est fermement opposé: «Dès début juillet 2020, le fabricant disposait de résultats d'essais indiquant la présence de substances potentiellement dangereuses pour la santé et présentant un risque élevé pour la santé», écrit l'autorité dans une décision d'octobre 2021.
Peu d'appareils remplacés ou réparés
Dès août 2021, Swissmedic s'est plaint de la coopération «insuffisante» de Philips, à laquelle le groupe serait pourtant tenu par la loi. Deux mois après le début de l'action de rappel, l'état des informations était toujours «globalement insatisfaisant». En octobre 2021, seules 12 des 28 questions listées avaient reçu une réponse.
En outre, Philips était très en retard sur son propre calendrier pour le remplacement et la réparation des presque 30'000 appareils respiratoires potentiellement dangereux pour la santé en Suisse. L'action avait déjà mal commencé: neuf mois après le rappel, seuls 11% des appareils avaient été remplacés ou réparés.
Presque un an de retard
A l'origine, Philips avait assuré que tous les appareils en question seraient remplacés ou réparés avant la fin du troisième trimestre 2022. Par la suite, il était prévu de mettre en œuvre les «mesures correctives» avant la fin de l'année 2022. Le remplacement a finalement été retardé de presque une année entière. Fin 2023, Philips a souligné auprès du «Beobachter» que les «mesures correctives» avaient entre-temps été prises «à presque 100%».
Un représentant d'une ligue pulmonaire cantonale, qui souhaite rester anonyme, confirme que le retard s'est fait ressentir. Les personnes concernées ont dû attendre des mois avant de recevoir un appareil de remplacement, et les médecins ne savaient au départ que peu de choses sur les conséquences possibles des appareils défectueux sur la santé.
«Pour toutes les personnes impliquées, le processus a été très pénible», affirme-t-il. Comme la plupart des personnes concernées louent ou achètent leur appareil par l'intermédiaire de la Ligue pulmonaire, l'organisation a joué un rôle central dans l'opération de rappel. Officiellement, la Ligue pulmonaire suisse souligne que l'action s'est «bien déroulée» et qu'elle n'a «pas connaissance d'autres problèmes concernant l'échange d'appareils».
Swissmedic enquête
L'affaire a provoqué des conséquences juridiques pour le fabricant. Le porte-parole de Swissmedic, Lukas Jaggi, confirme au «Beobachter» que Philips doit répondre d'éventuelles infractions à la législation sur les produits thérapeutiques: «Une procédure pénale est actuellement en cours.» Les détails ne sont pas connus, la présomption d'innocence s'applique.
Juridiquement, il y a des choses à contrôler. L'autorité de surveillance parle d'«incidents graves» et conclut dans une décision intermédiaire de juillet 2022: «En résumé, Swissmedic considère que ces produits ne peuvent pas être commercialisés en Suisse.»
Pas de test de vieillissement pour la mousse
L'autorité a critiqué à plusieurs reprises le fait que la mousse isolante utilisée jusqu'en 2021 n'avait jamais été soumise à un test de vieillissement avant la mise sur le marché des respirateurs. Et même après la mise sur le marché, de tels tests de vieillissement n'auraient même pas été prévus, selon Swissmedic. Du point de vue de l'Institut suisse, les appareils respiratoires n'étaient donc pas du tout «conformes» au sens de la loi.
Dans une prise de position adressée au «Beobachter», Philips souligne que «les appareils concernés par le rappel répondaient à toutes les normes applicables au moment de leur développement et de leur mise sur le marché».
«Aucun effet notable sur la santé»
Dans le communiqué de sécurité officiel publié il y a plus de deux ans, Philips était clair: «Ces problèmes peuvent entraîner des blessures graves susceptibles de mettre la vie en danger, de provoquer des lésions permanentes ou de nécessiter une intervention médicale.»
Aujourd'hui, le son de cloche est différent. Le groupe de technologie médicale écrit au «Beobachter»: «L'utilisation des appareils de thérapie du sommeil ne devrait pas causer de dommages significatifs à la santé des patients.» Philips se réfère à un total de cinq «laboratoires d'essai indépendants et certifiés» qui ont effectué des «tests approfondis» depuis juin 2021. Philips souligne qu'elle «continue à travailler en étroite collaboration et en toute transparence» avec les autorités de surveillance compétentes.