Stefan Meierhans, alias Monsieur Prix, s'attend à ce que l'année 2024 coûte cher à la population suisse. Le surveillant des prix appelle le Conseil fédéral à prendre des mesures pour contrer l'inflation généralisée.
Monsieur Meierhans, tout devient plus cher. De quoi effrayer le Surveillant des prix...
La situation actuelle est effectivement peu réjouissante. Et pour beaucoup de gens, c'est un grand défi! Sur tous les fronts. Jamais depuis 2012, à la suite de l'abolition du cours plancher du franc, je n'avais reçu autant de plaintes qu'en 2023. Cette avalanche de réclamations nous montre que la situation est urgente. Beaucoup de gens sont malades d'inquiétude à l'idée de ne plus pouvoir s'en sortir au quotidien. Cela me préoccupe beaucoup.
De qui proviennent ce type de plaintes? Des entreprises? Des particuliers?
De partout. Les particuliers sont spécialement nombreux à se plaindre, mais les PME aussi se manifestent. Mardi, nous avons recensé 2768 plaintes dans de nombreux domaines différents pour l'année écoulée. Comme je vous l'ai dit, nous n'avions jamais reçu autant de plaintes, sauf en 2012.
Où est-ce que ça coince?
La question est plutôt: où est-ce que ça ne coince pas? Prenons l'exemple des tarifs postaux. Actuellement, ils suscitent une grande indignation.
Pourtant, l'augmentation des tarifs postaux n'a pas de grande influence si j'envoie deux lettres par an et un colis avant Noël.
Peut-être pas pour vous, mais pensez aux petites entreprises. Nous avons pu réduire de plus de 70 millions de francs les augmentations de port et de prix de la Poste, mais les petites entreprises des régions rurales souffrent fortement du fait qu'elles ne bénéficient plus de rabais individuels pour leurs colis. La boucherie de la région de montagne, qui vend accessoirement des saucisses par Internet, ne peut pas passer aussi facilement à DPD ou DHL. Jusqu'à récemment, la Poste venait chercher les colis chez eux, parfois gratuitement, et accordait des rabais contractuels individuels. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Dans ce cas précis, les petites entreprises souffrent à cause d'un groupe qui appartient à 100% à l'État.
Les entreprises étatiques sont toujours un sujet de discussion chez vous, n'est-ce pas?
Oui, nous avons d'ailleurs reçu de nombreuses plaintes concernant le prix des billets dans les transports publics, bien que nous ayons pu là aussi réduire les augmentations de prix de 50 millions. De nombreux pendulaires, mais aussi des retraités qui veulent se déplacer, sont tributaires des bus et des trains. Si même les entreprises publiques ne sont pas des modèles pour la population, il faut se poser des questions.
Une autre entreprise publique, Postfinance, maintient des frais bancaires élevés malgré la hausse des taux d'intérêt.
Il est vrai que Postfinance domine le marché des paiements en espèces, mais nous disposons heureusement de nombreuses alternatives pour les opérations normales avec la clientèle privée. La Banque cantonale zurichoise (ZKB), qui est aussi une banque publique, a renoncé aux frais, chose que la Banque cantonale d'Argovie a fait depuis longtemps. Le problème, c'est que changer de banque demande beaucoup d'efforts et de frais. La concurrence n'a finalement qu'une influence limitée. Nous devrions nous inspirer de l'Autriche, qui garantit légalement un changement de banque sans complications, comme c'est déjà le cas chez nous pour les téléphones portables par exemple.
Le rachat de Credit Suisse par l'UBS donne naissance à une nouvelle grande banque qui devrait occuper une position dominante dans plusieurs domaines.
Nous attendons que l'autorité de surveillance bancaire Finma ait définitivement approuvé la fusion. Mais oui, la nouvelle UBS devrait au moins être puissante sur certains marchés. Une chose est sûre: la Surveillance des prix surveillera de près cette nouvelle UBS. Si la concurrence ne fonctionne pas correctement, notamment dans le domaine de la clientèle commerciale, nous interviendrons. La loi et la Constitution l'exigent.
Les consommateurs doivent également s'attendre à des prix plus élevés dans les magasins, puisque la TVA a augmenté au début de l'année.
L'augmentation de la TVA de 7,7 à 8,1% se fera sentir. Mais la bonne nouvelle est que le taux, déjà réduit sur les produits alimentaires, n'a augmenté que de 0,1% pour atteindre 2,6%, et que le taux sur l'hébergement n'a été que très peu augmenté. Ce qui sera décisif pour les clients, c'est de savoir si les magasins répercuteront les augmentations sur les prix.
Vous allez sans doute promettre que le Surveillant des prix surveillera cela de près...
En fait, nous nous sommes déjà penchés sur la question. Nous avons en quelque sorte agi de manière préventive. Avant Noël, nous avons pris contact avec les entreprises. Nous leur avons demandé les prix avant et après les fêtes. Pour avoir une vue d'ensemble, nous utilisons également les données de l'Office fédéral de la statistique. Nous avons aussi mis à disposition un calculateur de TVA en ligne. Les augmentations peuvent y être suivies et annoncées. Je suis convaincu que tout cela a déjà eu un effet préventif: quand on sait que les projecteurs sont braqués sur nous, la mentalité de self-service est vite mise de côté. Bien entendu, nous continuerons à surveiller l'évolution des prix. Mais il y a aussi une bonne nouvelle pour 2024.
Laquelle?
Les droits de douane industriels sur les produits non alimentaires étrangers ont été supprimés. Les appareils électro-ménagers, les vélos et les vêtements devraient être moins chers. Le Secrétariat d'Etat à l'économie, le SECO, parle de 800 millions de francs que nos entreprises économisent. Je suis certain que les consommateurs en profiteront lors d'achats importants.
A vous entendre, il n'y a plus beaucoup d'avantage à acheter son téléviseur de l'autre côté de la frontière!
Eh bien, pour les biens technologiques, la Suisse n'était déjà pas plus chère que ses voisins européens: merci la concurrence! Très souvent, l'iPhone est, en Suisse, le moins cher d'Europe. Il s'agit toutefois d'une question fondamentale que vous soulevez: comme vous le savez, j'ai grandi dans la vallée du Rhin saint-galloise. Ici, il est tout à fait normal de traverser la frontière pour aller faire ses courses. Si vous regardez les plaques d'immatriculation des voitures sur le parking du centre commercial Rheinpark à St. Margrethen, une grande partie des véhicules ont des plaques allemandes et autrichiennes. Les achats transfrontaliers se font des deux côtés du Rhin. Abaisser la limite de 300 francs pour les achats à l'étranger, et donc exemptés de TVA est, à mon sens, hautement regrettable et va à l'encontre de l'idée d'une économie de marché libre.
La ministre des Finances Karin Keller-Sutter devrait le savoir en tant que Saint-Galloise.
Madame la conseillère fédérale n'a qu'à mettre en œuvre la volonté du Parlement. Elle agit avec discernement. Mais je dois dire que vouloir enfermer les Suisses n'a aucun sens! Il y a des familles qui ont besoin de pouvoir faire leurs courses hebdomadaires à moindre coût.
Mais c'est le commerce suisse qui en souffre!
L'économie dans son ensemble souffre, d'autant plus que le libre commerce des marchandises est réprimé. C'est une lapalissade. Mais il ne faut pas oublier que...
... quoi donc?
Que les primes d'assurance maladie ont également augmenté, que l'énergie est devenue plus chère et que les loyers s'envolent. On ne peut tout de même pas priver les gens de leur dernière possibilité d'économiser.
Et vous, vous ne pouvez rien faire contre ces hausses de prix?
Nous avons agi contre la hausse des prix de l'énergie. Les locataires le ressentent notamment au niveau des charges. En ce qui concerne les coûts de la santé, nous pouvons enregistrer quelques succès, par exemple sur les prix des laboratoires et des médicaments, pour un montant de quelques centaines de millions de francs. Mais nombre de mes recommandations n'ont pas encore été mises en œuvre par le Conseil fédéral. J'espère que la pression de la population en détresse sera désormais prise en compte et que l'on se rendra compte que ce ne sont pas les hôpitaux et l'industrie qui doivent être protégés en priorité, mais également les patientes et les patients. Il ne faut pas oublier non plus que c'est surtout l'augmentation des quantités, avec la surthérapie et la surmédicalisation, qui coûte cher. Enfin, l'explosion des prix des loyers devrait rester l'une des principales préoccupations des Suisses dans les années à venir. C'est là que la politique doit intervenir.
À vous entendre, le Conseil fédéral n'a jusqu'à présent rien fait pour atténuer le renchérissement général. Comment jugez-vous notre gouvernement dans la lutte contre la baisse du pouvoir d'achat?
Ce n'est pas à moi de juger les choix du gouvernement.
Vous n'osez pas le faire parce que vous êtes un employé fédéral?
Ce n'est pas mon genre. Tout ce que je souhaite, c'est que notre Conseil fédéral garde toujours à l'esprit les défis auxquels la population est confrontée. J'espère qu'il utilisera son pouvoir pour réduire les coûts. Il suffit souvent d'une petite modification dans une ordonnance pour que les ménages du pays économisent beaucoup d'argent. Mais il a déjà reçu mes recommandations à ce sujet.