C’est peut-être le début d’une révolution en matière de droit pénal. Ce lundi 5 décembre, le Conseil national a opté pour une redéfinition de la notion de viol sur la base du consentement. La formule du «seul un oui est un oui». Conséquence: sans un «oui», qui pourrait être tacite, toute pénétration doit être illégale. Une victoire pour la gauche et les milieux féministes, soutenus par une partie de la droite, contre l’avis du Conseil fédéral et de sa ministre de la Justice, la libérale-radicale Karin Keller-Sutter.
Le dossier retourne au Conseil des Etats, qui avait, lui, choisi le modèle du «non, c’est non», en juin. En clair, de ce point de vue, pour qu’il y ait viol, il faut que la victime ait exprimé un refus. Actuellement, le viol est circonscrit de manière plus restrictive. Seule une pénétration vaginale non consentie d’une femme par un homme est répréhensible, si celle-ci a opposé une certaine résistance. Ces deux derniers éléments devraient être amenés à changer quoi qu’il arrive.
Avocat pénaliste renommé, Loïc Parein défend aussi bien les agresseurs que les agressées. Chargé de cours à l’Université de Lausanne comme de Fribourg et Genève, il plaide pour la solution du «non, c’est non». Selon le Vaudois, inscrire le consentement dans la norme pénale ne changerait (presque) rien. Eclairage.
Pourquoi êtes-vous opposé à l’inscription du principe du «oui, c’est oui» dans la définition pénale du viol? Le consentement, c’est sexy, non?
Avant tout, j’aimerais dire qu’il y a de très bonnes choses dans cette réforme. Par exemple, le fait qu’un viol ne soit plus uniquement défini comme la pénétration d’un homme sur une femme. Ceci dit, le discours de vente des partisans du «oui, c’est oui» manque souvent de nuance, voire se trouve parfois être trompeur. Comme Karin Keller-Sutter (ndlr: conseillère fédérale libérale-radicale en charge de la Justice), j’estime qu’on nourrit trop d’attentes à coups de slogans dont je me méfie toujours en droit pénal. Il faut le savoir: sur bon nombre de points, le «oui, c’est oui» ne changera rien.
Pourquoi?
Par exemple sur le plan de la preuve. Une femme accuse un homme de ne pas avoir recueilli son consentement. Lui prétend au contraire l’avoir fait. La situation n’est pas différente de celle dans laquelle elle prétend, selon le droit actuel, avoir été contrainte tandis que lui le conteste. Dans les deux cas, ce sera du «parole contre parole» et au tribunal de trancher selon leur degré de crédibilité. Cela dit, ce genre de situation n’empêche pas une condamnation. La parole d’une plaignante est un moyen de preuve, peu importe le système.
Quand même, on peut imaginer que de nouveaux types de situations tomberaient sous le coup de la loi.
Vous avez raison. Le champ de punissabilité serait plus étendu, certains comportements devenant condamnables là où ils ne l’étaient pas auparavant. Les mailles du filet pénal seraient théoriquement plus serrées. Cela ne veut toutefois pas encore dire qu’il y aurait plus de condamnations dans une mesure significative.
Pourquoi n’y aurait-il pas plus de condamnations?
Contrairement à ce qui est affirmé, la notion de consentement est assez complexe à trois égards au moins. Prenons d’abord l’exemple du domaine médical. Avant une intervention, le médecin ne doit pas recueillir que le consentement du patient. Il doit encore s’assurer que ce consentement est libre et éclairé. Ce dernier doit en particulier avoir été renseigné pleinement sur les risques encourus. Il faudrait qu’il en aille de même en matière sexuelle. De plus, un consentement peut se révoquer. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Jack Sion, en France. A 63 ans, il se faisait passer sur internet pour un beau jeune homme auréolé de succès, fausses photos à l’appui. Il proposait aux femmes de venir chez lui, de se bander les yeux et de l’attendre nues sur le lit avant qu’il vienne leur faire l’amour. Au moment de la relation sexuelle, elles étaient consentantes. Mais quand elles se sont rendu compte de la tromperie, elles ont déposé plainte pour viol. Résultat: huit ans de prison (ndlr: pour Jack Sion). Enfin, j’ajoute que l’on peut dire «oui» parce que l’on n’est pas libre de dire «non» ou que l’on peut dire «oui» de manière tacite. Comment distingue-t-on l’abandon de soumission et l’abandon désiré?
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Mais n’y a-t-il pas des cas où des femmes sont incapables de donner leur consentement, parce qu’elles sont — par exemple — en état de choc, de sidération?
Il y a une jurisprudence établie en Suisse qui couvre une partie de ces situations. Par exemple, si une femme vit avec ce qu’on appelle un «tyran domestique», elle se trouve dans l’incapacité de dire «non». Le Tribunal fédéral reconnaît alors qu’il s’agit d’un viol malgré l’absence de résistance. En dehors d’une situation de vulnérabilité marquée, le droit actuel prévoit l’infraction d’acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, dont on n’entend opportunément pas parler. Cette infraction est néanmoins passible d’une peine maximale équivalente au viol.
Quelle serait la meilleure solution, selon vous, pour protéger au mieux les victimes présumées et garantir le principe de la présomption d’innocence et un procès équitable pour les prévenus?
Pour moi, en cas de réforme, le système du «non, c’est non». Pour que l’acte soit punissable, il faudrait toujours une certaine résistance. Ce système serait d’ailleurs plus compatible avec la reconnaissance d’une liberté sexuelle impliquant que l’on est apte à poser ses limites, surtout dans un domaine très personnel. La relation sexuelle n’est pas une situation dans laquelle les partenaires sont par principe à ce point vulnérables que le législateur doit dire «non» à leur place.
Le principe du consentement est au cœur de la Convention d’Istanbul, ratifiée par la Suisse. Quinze pays européens l’appliquent, selon Amnesty International. Ça ne fonctionne pas dans ces Etats-là?
A part affirmer que le «oui, c’est oui» est appliqué ailleurs et que le refuser revient à entretenir la culture de viol, qu’avez-vous entendu? Des analyses de droit comparé? Des études criminologiques? Des données statistiques? Rien de tout cela. Encore moins la présentation des défauts que comporterait le nouveau système présenté comme la réponse à tous les problèmes de société en matière de sexualité. Cela m’apparaît comme un manque d’honnêteté intellectuelle. On va même jusqu’à affirmer que la notion de consentement est absente du droit actuel. Or l’infraction de viol réprime l’imposition de l’acte sexuel par la contrainte. S’il y a contrainte, c’est bien qu’il n’y a pas consentement. Cette notion est donc présente.
Et vous estimez que le consentement tuerait le romantisme comme l’avancent d’autres opposants au «oui, c’est oui»?
Ce n’est pas mon avis. Je crois que l’on peut être romantique tout en se souciant du désir de l’autre. Ce qui tue le romantisme, c’est la contractualisation des rapports sexuels. A l’extrême de ce système, il y a les applications bien connues, par exemple aux Etats-Unis, permettant aux partenaires de s’assurer électroniquement de l’étendue du désir de l’autre avant toute relation sexuelle. Reste que l’on peut changer d’avis en cours de relation et ça, en dehors de l’expression d’un refus, l’autre ne peut le savoir.
Voyez-vous tout de même un avantage au principe du «oui, c’est oui»?
Il y en a un particulièrement significatif. On alignerait le discours répressif sur le discours préventif. On punirait en théorie le partenaire qui ne s’est pas spécifiquement enquis du consentement de l’autre alors que cela est une priorité dans les messages de sensibilisation. Cela dit, l’alignement comporte des défauts. Il ne faut pas les passer sous silence, sous peine d’empêcher un débat complet. Et c’est le sens de mon intervention: que la pesée des intérêts soit rendue possible pour les citoyens.