À l'inverse des États, pour qui «Non, c'est non»
Le Conseil national redéfinit le viol sur la base du consentement

«Oui, c'est oui.» Contrairement au Conseil des Etats, qui a opté pour une définition basée sur le refus de l'acte sexuel, le National a opté lundi pour une redéfinition du viol sur la base du consentement. Explications.
Publié: 05.12.2022 à 21:01 heures
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La ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter (à droite), a souligné que quelle que soit la variante retenue au final, les victimes devraient toujours apporter la preuve de leur viol.
Photo: keystone-sda.ch

Juridique, le dossier est aussi intime et émotionnel. Le viol est actuellement défini de manière restrictive. Seule la pénétration vaginale non consentie d'une femme par un homme est considérée comme tel. Et la victime doit avoir démontré une certaine résistance.

La révision du droit pénal est nécessaire et incontestée. À l'avenir, toute pénétration non consentie, quel que soit le sexe de la victime, doit être considérée comme un viol. La notion de contrainte doit également être abandonnée.

«Pas un magasin en libre-service»

L'ampleur de la modernisation fait plus débat. Faut-il baser la notion de viol sur un consentement ou un refus? Après de longs débats, les sénateurs ont opté pour le «non, c'est non». Les députés ont discuté tout aussi longtemps, si ce n'est plus, et finalement adopté par 99 voix contre 88 et 3 abstentions la version «oui, c'est oui.»

«Il va de soi qu'on ne prend pas de l'argent dans le portemonnaie de son voisin sans lui demander. Il va de soi qu'on n'entre pas chez quelqu'un sans sonner. Pourquoi mon portemonnaie et ma maison seraient mieux protégés que mon corps?», a interrogé Tamara Funiciello (PS/BE).

«Le corps des femmes n'est pas un magasin en libre-service», a martelé la Bernoise. Opter pour la version «non, c'est non», «c'est présumer que le corps du partenaire est à la libre disposition, a abondé Raphaël Mahaim (Vert-e-s/VD). Le corps de l'autre n'est jamais un open bar. Avant d’avoir un moment de partage sexuel, il faut s’assurer du consentement de son partenaire.»

La solution «oui, c'est oui» permettrait de prendre en compte toutes les situations, notamment les cas d'immobilité tonique, ont avancé plusieurs orateurs. Dans ces cas, la victime est incapable de réagir. Elle ne peut pas exprimer ou montrer son refus.

Un UDC évoque... l'extinction de l'espèce

Une partie du camp bourgeois aurait préféré se rallier aux sénateurs. «La version du 'oui, c'est oui' est une vision éthérée très éloignée de la pratique», a critiqué Yves Nidegger (UDC/GE). Il n'est pas possible de demander le consentement de l'autre à chaque étape de la relation, de l'œillade à l'acte. Et de prédire des débandades et l'extinction de l'espèce.

La solution du consentement créera beaucoup plus de confusion, de déceptions et de frustrations qu'elle n'en résoudrait, a assuré de son côté Vincent Maitre (Centre/GE). Elle sera aussi difficile à mettre en œuvre. Barbara Steinemann (UDC/ZH) s'est quant à elle insurgée contre une politique symbolique.

La version «non, c'est non» créerait plus de clarté. Un refus est plus facilement prouvable, a également relevé la ministre de la Justice. Et Karin Keller-Sutter de préciser qu'il peut aussi être non verbal, comme des pleurs ou un geste de repoussement. À l'inverse, un «oui» peut être contraint et affirmé par peur ou incertitude.

Yves Nidegger a encore présenté une variante. Il y aurait viol si l'auteur passe outre le refus verbal ou non verbal de sa victime. Il n'a pas eu gain de cause. «Cette formulation est plus étroite que celle du «non, c'est non»,» a jugé Laurence Fehlmann Rielle. Lukas Reimann (UDC/SG) a aussi tenté d'introduire un nouveau concept. Sans plus de succès.

Présomption d'innocence

La conseillère fédérale a encore rappelé qu'elle ne résoudra pas tous les problèmes. Qu'elle qu'eût été la variante d'ailleurs. Les victimes devront toujours apporter la preuve de leur viol.

«L'auteur n'aura jamais à prouver quoi que ce soit. Le doute profitera toujours à l'accusé», a également relevé Baptiste Hurni (PS/NE). Il n'y aura pas de renversement du fardeau de la peine, ni d'atteinte à la présomption d'innocence.

Karin Keller-Sutter a donc lancé un projet pour mieux accompagner et conseiller les victimes, identifier les «best practices» des cantons et mieux former les policiers.

Gradation des infractions

Le projet de modernisation introduit par ailleurs une gradation des infractions: sans contrainte, avec contrainte et avec cruauté ou en utilisant des armes dangereuses. Les peines augmentent avec la gravité de l'infraction. Les députés ont de nouveau croisé le fer.

La droite, conservateurs en tête, a tenté de biffer les amendes et durcir les peines. «Les victimes de viol gardent des blessures physiques et psychologiques toute leur vie. Il faut des peines plus dures», a plaidé Pirmin Schwander (UDC/SZ).

Le National, suivant sa commission, n'a accepté de supprimer la peine pécuniaire que pour les viols sans contrainte. Ils seront punis d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans. Une minorité transpartisane aurait voulu maintenir la possibilité d'une amende, comme le souhaitaient les sénateurs.

«Il faut laisser une marge de manœuvre aux juges. Des peines pécuniaires sont parfois plus douloureuses qu'un emprisonnement. À l'inverse, certains auteurs ne peuvent pas payer. Au final, la question est de savoir quelle est la sanction la plus efficace», a argumenté en vain Christa Markwalder (PLR/BE).

Deux ans au moins en cas de contrainte

Suivant le Conseil des Etats, le National a en revanche accepté de fixer à deux ans la peine plancher pour viol avec contrainte. Un viol avec cruauté serait lui sanctionné d'au moins trois ans de prison. Aucun plafond n'étant mentionné, la peine maximale pourrait aller jusqu'à 20 ans d'emprisonnement.

Les débats se poursuivent.

(ATS)

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