La connexion par appel vidéo avec le Sri Lanka est établie. Aarusan, trois ans, grimpe sur les genoux de son père et fait signe à la caméra. «Hello», dit le bambin, un sourire sur le visage. A côté de lui, sur les genoux de sa mère, se trouve sa grande sœur Ashvika, sept ans. Le visage figé. Elle comprend la gravité de la situation. «Nous ne sommes pas bien», commence Nesakumar, le père de famille. Ils sont assis devant la maison d'un parent dans le nord du Sri Lanka. Il leur offre un toit après leur expulsion.
Trois semaines auparavant, la famille avait été expulsée de force de Suisse. Il leur est encore difficile d'en parler. «Je n'arrive toujours pas à croire que la Suisse ait fait cela. C'est inhumain», se désole Nesakumar.
Les enfants ne connaissent que la Suisse
Pendant huit ans, la famille a vécu en Suisse. En 2015, Nesakumar et sa femme Thanusika se sont enfuis en Suisse et ont demandé l'asile. Blick a eu accès aux documents de la famille. Lors de l'entretien avec les services de l'asile, Thanusika avait confié les problèmes qu'ils avaient rencontrés avec la police locale.
Nesakumar a indiqué qu'il avait été persécuté politiquement au Sri Lanka. Il aurait été enlevé et torturé. Ses ravisseurs lui ont reproché de soutenir les Tigres tamouls, ce qui, selon lui, est faux. Le père de Nesakumar était un partisan du mouvement et a été tué pendant la guerre civile. Les Tigres de libération de l'Eelam Tamoul, également appelés Tigres tamouls, étaient un groupe séparatiste sri-lankais qui luttait pour l'indépendance du nord et de l'est du pays, dominés par les Tamouls.
Ils rêvent d'une vie légale
En 2018, le Secrétariat d'État aux migrations a rejeté les deux demandes d'asile. Les histoires contiennent trop «d'incohérences et de contradictions», selon le motif. La famille aurait dû quitter la Suisse à ce moment-là. Mais retourner au Sri Lanka n'a jamais été une option pour eux. C'est ce qu'ils avaient raconté lors d'un entretien quelques mois avant leur expulsion, lorsqu'ils vivaient en illégalité.
Les membres de la famille étaient à ce moment-là dans le centre de retour d'Enggistein, au-dessus de Worb dans le canton de Berne. C'est ici que les familles ayant reçu une décision négative attendent leur sentence: le renvoi.
Entre-temps, ils ont eu deux enfants: Ashvika et Aarusan. Nesakumar et Thanusika prévoient alors de déposer une demande de cas de rigueur et rêvent d'une vie légale en Suisse. «Nous pourrons alors enfin travailler et avoir notre propre appartement», confiait Thanusika à l'époque.
«Un moment très triste»
Quelques mois plus tard, la réalité est tout autre. Le 21 novembre dernier, la famille est expulsée. Ashvika se préparait pour aller à l'école lorsque la police a débarqué. Sans prévenir. Ses camarades de classe apprendront qu'ils ne reverront plus jamais leur amie.
Lisbeth Zogg, une proche de la famille, prend connaissance de l'expulsion au petit matin et se rend avec son mari au centre d'expulsion. «C'était un moment très triste. Pour les policiers aussi, c'était émotionnel», avoue-t-elle. Lisbeth est convaincue que la famille s'est bien intégrée au cours des dernières années. «Ce renvoi est illogique et absurde. Les enfants sont renvoyés dans un pays qui n'est pas du tout leur patrie.»
«J'ai essayé de tout arrêter»
Thanusika est enceinte de quatre mois au moment de son expulsion. Nesakumar est malade psychiquement. On lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique. Deux tentatives de suicide viennent s'ajouter à la détresse de l'homme. L'expulsion est néanmoins acceptée et autorisée par la loi. La famille a deux heures pour rassembler ses affaires, monter dans un van blanc de la police et partir.
Ils sont d'abord emmenés au poste de police de Worb, puis à Zurich. Nesakumar raconte qu'il s'est lui-même assommé au poste de police: «J'ai essayé de tout arrêter, mais ça n'a pas marché.» Le rapport de police ne mentionne pas explicitement cet incident. Il est toutefois écrit: «Les deux parents ont tenté de stopper l'expulsion en simulant des incidents médicaux.» L'avocate tente, elle aussi, d'aider la famille, jusqu'à la dernière minute. Alors que l'expulsion est déjà en cours, elle dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral. Cela ne sert à rien. L'expulsion suit son cours.
Avec d'autres familles à bord
Le soir même, le vol spécial décolle. Il s'agit d'un vol charter de la compagnie aérienne tchèque à bas prix Smartwings, qui voyage sur mandat du Secrétariat d'Etat aux migrations. A bord se trouve une autre famille du canton de Berne avec deux enfants nés en Suisse. Le plus jeune n'a que quelques mois.
Selon les indications de la famille, environ 10 à 15 personnes originaires du Sri Lanka se trouvaient également dans l'avion. Ils étaient accompagnés d'un énorme dispositif policier. La famille parle de plus de 100 policiers et policières. Ces chiffres ne peuvent toutefois pas être confirmés.
Interrogé à l'arrivée
Plus de 24 heures après l'expulsion, le vol atterrit dans la capitale sri lankaise, Colombo. La famille est de retour au même endroit qu'il y a huit ans – une ville qu'elle avait quittée en tant que réfugiés, qu'ils ne voulaient plus jamais revoir..
Selon leurs propres déclarations, ils ont été interrogés par la police à l'aéroport. Puis, ils ont été autorisés à partir. Ils se sont ensuite dirigés vers le nord, et ont trouvé refuge chez des proches.
Les premiers jours ont été terribles. Nesakumar raconte que quelques jours après leur arrivée, ils ont reçu la visite de personnes inconnues qui leur ont posé des questions louches. Il a peur: «Je ne sais pas ce qu'ils veulent de moi. Peut-être veulent-ils m'enlever à nouveau ou même me tuer.»
Espoir de retour
Après cet incident, il ne voit plus que rarement sa famille. Selon ses dires, il se cache dans un autre endroit pour protéger ses proches. Le fait est que la guerre civile au Sri Lanka a laissé de profondes blessures qui ne sont pas encore guéries. A cela s'ajoute le fait que le pays traverse une grande crise économique. Thanusika est désespérée. «J'ai peur pour la naissance et l'avenir de mes enfants», dit-elle en larmes.
Blick aurait aimé parler de cette expulsion avec le Secrétariat d'État aux migrations et le Service des migrations de Berne. Mais tous deux ont refusé de donner des informations sur ce cas particulier.
Malgré l'expulsion, la famille espère un retour en Suisse. «Peut-être que quelque chose de bien va arriver et que nous pourrons revenir», s'encourage Nesakumar. A la fin de l'entretien, Ashvika intervient également avec un souhait: «Peux-tu s'il te plaît dire à mes amies qu'elles me manquent?» Elle fait ensuite un signe à la caméra et souhaite une bonne journée.