Qui écoute le pape François lorsqu’il lance, comme il vient de le faire à nouveau à Marseille, un appel à davantage de solidarité avec les migrants qui traversent la Méditerranée au péril de leurs vies? Tout le monde. Les médias répercutent aussitôt ses mots. Les Cardinaux et les Évêques présents à ses côtés louent sa volonté et se disent «impressionnés». Les organisations humanitaires conviées à le rencontrer repartent de leurs échanges galvanisées.
En images, le pape François à Marseille
Et puis? Rien ne change. Aux frontières extérieures terrestres de l’espace Schengen – dont fait partie la Suisse – les murs et les barbelés s’accumulent. En haute mer, l’idée d’un blocus naval fait peu à peu son chemin, et les arraisonnements tragiques de navires chargés de migrants, comme on l’a vu en Grèce au début juin, sont programmés pour se multiplier. Fatigué et malade à 86 ans, le pape François sait, malheureusement, qu’il parle dans le vide parce que nos sociétés sont prises dans l’étau de la peur et des réalités.
Peur, parce que les chiffres des arrivées en provenance d’Afrique ou du Moyen-Orient, ramenés à l’ensemble de la population du continent européen, demeurent en théorie très gérables, surtout dans des pays en demande de main-d’œuvre. Réalités, parce que l’accueil massif des déplacés d’Ukraine, l’angoisse d’une submersion migratoire, le choc religieux avec des clandestins souvent musulmans, sont politiquement explosifs dans des démocraties fragilisées par la polarisation et la radicalisation des opinions publiques.
Les faits sont à la fois tragiques et têtus. Nos sociétés européennes ne sont pas préparées à accepter les flux migratoires, pourtant inéluctables au vu du changement climatique, des inégalités Nord-Sud et des profits accumulés par les passeurs, souvent de mèche avec les polices locales.
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L’Église catholique au cœur d'un dilemme
Cet étau infernal dans lequel sont pris tous les gouvernements, sans exception, vaut aussi pour l’Église catholique dont le Pape est le chef suprême. Chacun de ses discours, sur les migrants, renforce sa lumineuse solitude. Chaque évocation du devoir d’humanité qu’est, selon lui, la nécessité de l’accueil renvoie ce souverain pontife originaire d’Argentine et de ce continent émergent broyé par la colonisation qu’est l’Amérique latine, à la spécificité de l’Europe occidentale.
Notre continent a été, au fil de son histoire, la forteresse armée de l’Église catholique. Il a été le théâtre de l’accumulation de richesse par celle-ci, dont les prélats se recrutaient pendant des siècles au sein de l’aristocratie. La Réforme, à partir du début du XVIe siècle, se révolta contre l’impitoyable domination politique de Rome. L’histoire, depuis, a fait son œuvre. Le pape François n’est pas comptable des abus et des exactions de ses prédécesseurs lointains. Mais ce qu’il dit sur les migrants, et l’effort de solidarité qu’il demande à juste titre aux fidèles et aux gouvernements, ramène obligatoirement à ce passé.
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L’Église catholique compte aujourd’hui plus de fidèles dans les pays du sud qu’au nord. Son avenir est en Afrique, en Amérique Latine, en Asie. Derrière la question des migrants se pose donc, pour le Pape, chef d’un État au cœur de la vieille Europe, celle de la transformation profonde de sa paroisse mondiale. Impossible, dès lors, de ne pas s’interroger sur les fractures, peut-être inévitables, au sein de cette Église forte de près 1,4 milliard de croyants sur la planète. Le sort des migrants n’est pas seulement une bombe pour nos sociétés. Il peut aussi faire exploser, à terme, cette cathédrale du catholicisme dont le pape est la clef de voute.