Murmures. Son nom circule en coulisse, et se glisse même discrètement dans les médias genevois. L’ex-conseiller national Christian Lüscher pourrait bien prendre la présidence du conseil d’administration de Genève Aéroport, dont il est membre depuis le 6 septembre 2023. Le libéral-radical (PLR) entrera en fonction en 2024, au plus tôt en février.
Plusieurs sources proches du dossier le confirment: le médiatique avocat est le favori du Département des finances et de sa populaire ministre Nathalie Fontanet (PLR). Selon nos informations, sa nomination devrait être une formalité et sa confirmation devrait tomber à la mi-décembre.
Le Conseil d’Etat, repassé à droite en 2023, doit renouveler les présidences de cinq régies publiques: Genève Aéroport, les Hôpitaux universitaires genevois (HUG), les Transports publics genevois (TPG), les Services industriels de Genève (SIG) et l’institution d’aide et de soins à domicile (IMAD). En clair, plusieurs départements vont proposer leurs poulains. Personne n’a donc intérêt à s’opposer au nom proposé par un ou une collègue.
120’000 francs par an
Le salaire lié à son nouveau poste est de 120’000 francs par année, comme déjà relevé par le passé par la «Tribune de Genève». Comme les autres membres du conseil d’administration, la personne qui occupe ce siège bénéficie d’autres petits avantages, comme d’une place de parc ou un rabais de 10% au duty free, comme le reste du personnel.
Être président de ce conseil d’administration est chronophage. Cela n'implique pas seulement d'accueillir le conseiller fédéral Albert Rösti ou de définir les grandes lignes d’un avenir radieux économiquement et plus écologique en même temps. C'est aussi affronter la grogne des employés en grève face aux attaques sur leurs acquis sociaux, ou l’agacement des riverains fortement dérangés par le bruit des réacteurs.
«Succursale PLR»
Premier vice-président du Grand Conseil, Alberto Velasco est remonté. «Ce n’est pas encore officiel, mais cette information est vraie: c’est Christian Lüscher qui remplacera Pierre Bernheim, confirme d’abord le socialiste, au bout du fil. Désormais, l’Aéroport sera une succursale du PLR, qui se l’est approprié. C’est très gênant!»
Une succursale du PLR? Nommé le 14 novembre par le conseil d’administration, le futur directeur général, Gilles Rufenacht, vient en effet du même parti. Celui-ci reprendra les rênes à l’automne 2024. Une autre voix, qui souhaite garder l’anonymat, souligne que la secrétaire du conseil d’administration et assistante du président, Marianne Cherbuliez, en poste depuis 2016, siège également au Conseil municipal de Veyrier sous les couleurs PLR.
Mais ce n’est pas tout. Alberto Velasco, lui-même ancien membre de ce même conseil d’administration, s’inquiète «a priori» des liens d’intérêts de Christian Lüscher. «Christian Lüscher est président de la banque TradeXBank, qui appartient à l’homme d’affaires Abdallah Chatila. Or l’Aéroport est une entité parapublique hautement stratégique pour le Canton et la Confédération. Et en son sein, il y a aussi des commerces très importants.»
No comment de Christian Lüscher
Selon le magazine «Bilan», l’investisseur genevois fait partie des 300 plus riches de Suisse, où il est installé depuis 1988. Originaire du Liban, Abdallah Chatila est assis sur une fortune estimée entre 200 et 300 millions de francs. «Il ne faudrait pas que ses intérêts, qui sont vastes, viennent se mêler aux décisions qui concernent l’Aéroport», avertit Alberto Velasco, qui aurait préféré une nomination plus «neutre».
Joint par téléphone, puis par e-mail ce mardi, Christian Lüscher n’a pas souhaité répondre à nos questions. «Nous n’avons pas de notification officielle de décision», note quant à lui Ignace Jeannerat, porte-parole de Genève Aéroport. Quant au Département des finances, des ressources humaines et des affaires extérieures, il ne confirme ni n’infirme la nomination de Christian Lüscher et relève qu’aucune annonce officielle n’a eu lieu.
Le président du PLR à la rescousse
Le président du PLR est, lui, plus volubile. «Si elle se confirmait, sa nomination serait un choix politique de la conseillère d’Etat, analyse Pierre Nicollier. En termes de planification et de gestion stratégique, avoir quelqu’un qui connaît la Berne fédérale et ses arcanes est un avantage non négligeable pour notre canton. N’oublions pas que les plans sectoriels des infrastructures aéronautiques (PSIA) sont définis par la Confédération.»
Quid des reproches d’Alberto Velasco, qui considère Genève Aéroport comme une «succursale PLR»? «Pour le poste de président du conseil d’administration, je ne vois pas d’autre personne avec le profil et les qualités de Christian Lüscher pour assumer cette fonction, tacle le député. Par ailleurs, la conseillère d’Etat n’a pas été impliquée dans la nomination du directeur général, choisi par le conseil d’administration. Les mauvaises langues n’ont visiblement aucune compréhension du processus de recrutement. Ou peut-être espéraient-elles obtenir la place?»
Contacté également, Eric Stauffer, ex-trublion de la politique au bout du Léman et ancien membre du conseil d’administration, valide le nom de Christian Lüscher. «C’est un peu un placard doré de fin de carrière, mais il a pleinement les compétences pour ce poste, considère le fondateur du Mouvement citoyens genevois (MCG). Je préfère qu’une personne de droite reprenne ce poste, l’aéroport est un pilier économique du canton plutôt qu’une Verte comme l’ex-conseillère d’Etat Fabienne Fischer dont le but est sa destruction!»
«Triste mais heureux»
L’actuel président est «triste de quitter la plus belle boîte de Genève, mais heureux» du travail accompli. Pierre Bernheim occupe ce poste depuis mars 2022, après le limogeage de sa prédécesseure, Corine Moinat. Durant cette période, cet entrepreneur à succès a notamment mis en place une stratégie qui table sur une croissance de 1,5% et qui demande une diversification des sources de revenus. Dans cette optique, les travaux pour la refonte complète du terminal, devisés à 600 millions de francs, devraient débuter en 2026.
Egalement pilote, le jeune quadra nie avoir été poussé vers la sortie. «Je suis dans le conseil d’administration depuis 2010 et je n’étais pas censé devenir président. La loi limite les mandats à 15 ans. J’aurais pu poursuivre encore un an, mais ça n’aurait pas eu de sens de partir au milieu d’une législature et d’imposer mes choix à mon successeur.»