«Pour les garçons, il s'agit d'une sorte de trophée.»
La diffusion de contenu pornographie interdite inonde les cours de récréation suisses

De plus en plus de jeunes sont dénoncés pour pornographie interdite, notamment pour des contenus diffusés sur les réseaux sociaux. Un cas impliquant une jeune fille de 13 ans a marqué le canton de Zurich. Blick s'est procuré des extraits des interrogatoires des accusés.
Publié: 14.01.2024 à 11:14 heures
|
Dernière mise à jour: 14.01.2024 à 11:19 heures
1/5
Une jeune fille de 13 ans s'est fait filmer lors d'actes intimes. La vidéo a atterri sur les réseaux sociaux sans son accord.(Image symbolique)
Photo: Illustration: Valerie Jost
Mitarbeiterfoto_06.jpeg
Lisa Aeschlimann

La séquence dure moins de 20 secondes. On y voit Layla* s'agenouiller devant Nils*, qui immortalise la scène avec son téléphone portable. Quelques heures plus tard, la vidéo tourne déjà sur les réseaux sociaux. Le monde entier peut alors avoir accès à la fellation de cette jeune fille de 13 ans sur ce jeune homme de 14 ans.

Face à cette situation dramatique, la mère de Layla porte plainte. Quelques jours plus tard, au matin du Nouvel An 2022, une patrouille de police se rend au domicile des parents de Nils, saisit son téléphone portable et emmène l'adolescent au poste. L'adolescent de 14 ans fait l'objet d'une procédure pour production de pornographie enfantine.

345 jeunes dénoncés en 2022

Cette histoire, remontant à deux ans en arrière, est un exemple parmi tant d'autres. En 2022, 245 jeunes ont été dénoncés par le ministère public zurichois pour pornographie, contre 188 l'année précédente. 

A l'échelle nationale, la tendance est encore plus marquée. Alors que seuls 80 jeunes avaient été condamnés en 2012, ils étaient 419 en 2018. En 2022, le chiffre a dépassé pour la première fois la barre dès 1000 avec 1024 jeunes – un nouveau record.

Le nombre de condamnations n'est pas le seul à évoluer. Les jeunes prévenus sont de plus en plus jeunes. A Zurich, les condamnés ont en moyenne 13,5 ans, selon les derniers chiffres.

Une perquisition dans un cas sur deux

La plupart du temps, les procédures judiciaires concernent l'envoi de photos ou de vidéos pornographiques via Snapchat, Tiktok ou des groupes de chats de classe. Outre les contenus pornographiques, les avocats pour mineurs rapportent régulièrement des cas de transmissions de fichiers à représentations explicites de la violence, par exemple des vidéos de personnes décapitées.

La diffusion de telles scènes est en principe interdite, tout comme les scènes similaires impliquant des mineurs et des animaux. La loi interdit également de montrer ou d'envoyer de la pornographie dite douce aux enfants et aux jeunes de moins de 16 ans, qu'importe si le contenu implique des personnes du même âge ou des adultes.

Il n'a jamais été aussi facile pour les mineurs de se procurer des images et des vidéos pornographiques.
Photo: Blick TV

La loi prévoit des peines légères pour les jeunes: la peine maximale pour les moins de 15 ans est une mise à contribution personnelle de dix jours. Néanmoins, certains dispositifs de mise en examen sont plus lourds de conséquences. Patrik Killer, avocat en chef des mineurs dans la ville de Zurich, estime que la police effectue une perquisition dans un cas sur deux, voire trois. La plupart du temps, une perquisition se révèle nécessaire pour mettre la main sur des preuves.

Autrement dit: une à deux fois par semaine, à l'aube, la police cantonale se rend chez un jeune pour fouiller sa maison devant le regard ébahi de ses parents et de ses frères et sœurs.

Lors de l'interrogatoire, l'adolescent se montre candide

S'il révèle une grande violence, le cas de la vidéo de Layla et Nils demeure bien réel. Les noms et certains détails permettant de les identifier ont été modifiés pour des raisons évidentes. Dans le cadre de ses recherches, Blick a pu consulter les dossiers de procédure anonymisés.

Les documents montrent comment, lors de son interrogatoire, le jeune accusé refuse de prendre ses responsabilités. Selon ses dires, il aurait demandé à Layla s'il pouvait la filmer, chose qu'elle aurait accepté. Nils précise que la vidéo est courte. «Je ne vois pas où est le problème», répond l'adolescent à la policière. Pourquoi il a fait cette vidéo? «Je voulais la lui envoyer. Et elle a bien aimé l'idée.» La policière insiste:

Extraits de l'interrogatoire de Nils

Policière: Pourquoi tu as fait ça?
Nils: Je ne sais pas, ça m'a juste traversé l'esprit.
Tu avais déjà vu des vidéos comme ça?
Oui.
Où ça? Et avec qui?
Partout, avec des potes, sur Twitter.
C'est courant chez les garçons de ton âge de filmer ce genre de chose?
Oui.
Tu as 14 ans, elle en a 13. Tu es conscient que tu es accusé de pornographie enfantine?
Je ne me suis pas rendu compte.

Qu'est-ce qui pousse les jeunes à diffuser de telles vidéos?

L'avocat des mineurs Patrik Killer gère de nombreux cas de ce type. Selon lui, ces affaires naissent d'une dynamique relationnelle particulière. «Les filles souhaitent être reconnues par ces actes, et pour les garçons, il s'agit d'une sorte de trophée.»

Au fond, les jeunes savent ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, mais ils ne pensent pas aux conséquences de l'acte en lui-même. Ils ne s'imaginent par exemple pas qu'un enregistrement publié sur le net est presque impossible à arrêter et encore moins à effacer.

Mais comment la vidéo de la jeune adolescente s'est-elle retrouvée sur les réseaux sociaux? Selon Nils, c'est un autre garçon, Luca, 13 ans, qui serait à l'origine de la diffusion. Luca aurait eu une relation amoureuse avec Layla avant lui, et aurait demandé à Nils de lui montrer la fameuse vidéo.

Nils dit avoir cédé sous la peur, après quoi Luca aurait filmé à son tour l'écran avec son téléphone. Luca aurait juré «sur sa mère» qu'il ne publierait pas cette vidéo. La version de Luca est différente: Nils aurait montré la vidéo de son plein gré en riant. Mais qu'importe: pour Layla, le résultat est le même.

Les parents perdent le contrôle en ligne

Me Patrik Killer affirme qu'il n'a jamais été aussi facile de se procurer du matériel pornographique. «Autrefois, les jeunes tombaient peut-être sur un magazine sexuel en ramassant le journal. Aujourd'hui, ils ont accès à des millions de contenus à tout moment.»

Tout le monde n'a pas conscience de cette réalité. Les parents des jeunes incriminés sont généralement surpris des comportements en ligne de leurs enfants. «On peut avoir un œil ce que font les enfants à la maison, mais en ligne, on a beaucoup moins de contrôle», explique l'avocat. Il constate par ailleurs que beaucoup de parents ne connaissent pas réellement les limites de l'illégalité.

Mais souvent, les jeunes accusés ne sont pas conscients des conséquences de l'envoi de contenus intimes.
Photo: Keystone-SDA

L'avocat des mineurs conseille aux parents d'attirer l'attention de leurs enfants sur les dangers et de leur expliquer ce qu'il faut faire lorsqu'ils sont confrontés à de telles images. Échanger avec d'autres parents est également une bonne façon de communiquer sur le sujet.

Quelques jours après avoir perquisitionné chez Nils, la police s'est également rendue chez Luca. C'est la mère de l'adolescent qui l'a réveillé et qui a remis son téléphone portable aux agents. Blick a pu consulter les déclarations de Luca concernant les accusations à son encontre.

Extraits de l'interrogatoire de Luca

Avocate: Pourquoi as-tu enregistré cette vidéo?
Luca: Je n'y croyais pas, c'est tout.
Tu ne croyais pas quoi?
Que Layla fasse ce genre de choses, elle n'a que 13 ans.
Qu'avais-tu l'intention de faire avec la vidéo?
Rien, c'était juste une preuve. Les gens disaient que ce n'était pas vrai. Je leur ai montré et puis ils m'ont enfin cru.
Et quelle a été leur réaction?
Du genre «Wow, elle n'a que 13 ans». Ils étaient un peu déçus. Tous ceux qui la connaissaient étaient déçus d'elle.
Pourquoi as-tu diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux?
Je ne sais pas.
Tu penses que c'était une bonne idée?
Non.
Pourquoi ça?
Ça lui a fait du mal.
C'est ce que tu voulais?
Pas vraiment, mais un peu quand même.
Comment ça?
Elle m'a insulté plusieurs fois. Et moi aussi. On s'est un peu disputés.
Qu'est-ce que tu retiens de cet incident?
Ce n'était pas une bonne idée.
As-tu tiré des leçons de cette histoire?
Oui, bien sûr.
Lesquelles?
Qu'il ne faut pas diffuser ces contenus sur internet.

Luca a été condamné trois mois plus tard pour pornographie interdite. L'adolescent devra suivre un cours sur les médias en guise de punition afin d'être sensibilisé aux dangers. Une bonne façon de faire comprendre aux gens les conséquences de leurs actes, selon Patrik Killer. La plupart du temps, les jeunes disparaissent de la justice après avoir commis une faute. Mais les images et les vidéos, elles, restent à vie sur la toile.

*Noms modifiés

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la