«Et toi, tu parles d'où?» La question a probablement résonné dans beaucoup de bureaux après le week-end (à égalité avec «Alors, ton train, il part à quelle heure maintenant?»).
L'origine de notre langage est cartographiée par la RTS et son «parlomète romand», un outil pour déterminer notre provenance en fonction des expressions et prononciations que nous utilisons. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est précis. Très précis...
L'accent de Gland
De fidèles lecteurs rapportent être localisés à Gland, alors qu'ils n'y mettent jamais les pieds. Idem à Genève: «78% Laconnex», indique un résultat. Dans les deux cas, les Romands qui ont joué au parlomètre ont eu la même surprise: peut-on vraiment parler «comme à Gland»? Ou bien avoir l'accent de Laconnex, minuscule commune de 703 habitants?
La chaîne de service public a collaboré avec Mathieu Avanzi, professeur à l’Université de Neuchâtel (UniNE) et expert du français régional, pour créer les questions. Marc Gay-Balmaz et Orestis Malaspinas de la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture (Hepia) de Genève, ont fait les calculs de probabilités et de fréquences. Mais la précision du modèle n'est pas qu'une question de statistique.
Précision «hallucinante»
«Il y a vraiment des modèles de parler communaux très précis, souligne le linguiste Mathieu Avanzi. La plupart des gens sont effectivement surpris que l'outil les localise exactement chez eux.» Près de 30'000 personnes ont participé à cet effort de cartographie en répondant au sondage lancé en amont.
Puis, les statisticiens ont entrainé un système de prédiction, basé sur une trentaine de questions fermées. Mathieu Avanzi est «halluciné» des distinctions faites, par exemple entre Peseux (NE) et Neuchâtel. «Il n'y a pas matière à différencier la manière de parler des habitants de ces deux endroits, s'étonne le professeur. À l'oreille, nous ne pourrions pas.»
Notre cerveau ne reconnaît pas ces accents
En effet, l'intelligence artificielle utilisée pour entrainer le modèle résonne sur des statistiques et finit par avoir une sensibilité plus fine que les locaux pour repérer les petites différences d'intonation ou de vocabulaire. «Notre cerveau n'a pas cette connaissance, à part peut-être en Valais, où l'on pourrait reconnaître des traits de patois en fonction des communes», imagine Mathieu Avanzi.
Naturellement, un Romand fait la différence entre les différents accents cantonaux. L'oreille «entrainée», comme dit le linguiste, peut repérer si quelqu'un vient du haut ou du bas d'un canton, éventuellement d'une ville plutôt que de la campagne. Mais les accents sont aujourd'hui lissés, notamment depuis la disparition des patois.
Les patois, des cartes d'identité
«Quand les gens parlaient différents dialectes, chaque village avait le sien et l'on pouvait clairement les identifier. Les patois étaient tellement précis qu'ils cartographiaient tout à fait les origines des habitants», indique le spécialiste du parler romand. C'est de là que vient le mythe qu'il est possible de reconnaître le village d'origine des Valaisans à leurs accents, ajoute-t-il.
C'est donc une «sacrée prouesse» que remplit l'algorithme de la RTS en traçant des profils ultra-particuliers de locuteurs romands. «Il n'y aura jamais un contexte social 'normal' où quelqu'un serait amené à prononcer tous les mots du parlomètre dans une même conversation, et à révéler quel est son origine linguistique», conclut Mathieu Avanzi.