Devinette: si «négrillon» est un «petit enfant noir», si l'hétérosexualité est «naturelle» et si la femme est définie par «ses caractères sexuels, qui lui permettent de mettre au monde des enfants», en quelle année est sortie la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française?
La réponse correcte n'est pas 1694, mais bien là, récemment, en novembre. Les immortels viennent d'achever le tome 4 de la neuvième édition de leur dictionnaire, mise en route dans les années 1980.
À peine sorti, déjà «périmé»
La Ligue des droits de l’homme appelle à «rectifier d’urgence» certaines définitions. Les Linguistes atterrées questionnent l'utilité de l'ouvrage «déjà périmé», rédigé par «une poignée de gens» même pas linguistes. En clair, une bande de Parisiens conservateurs, déconnectés du français parlé actuel.
Qu'en pense Mathieu Avanzi, le créateur des cartes cultes et du compte Instagram «Français de nos régions»? Le linguiste français, professeur à l'Université de Neuchâtel (UniNE), cartographie notamment le parler romand. Il rit quand on lui parle des «bourdes» de l'Académie dans ses définitions.
La «bourgeoise intellectuelle française»
«Ce dictionnaire n'évolue pas avec son temps, souligne d'emblée le professeur. J'ai une fois assisté à une conférence durant laquelle deux académiciens expliquaient avoir discuté du mot 'récré' toute la matinée. Je me suis dit, 'c'est la bourgeoisie française intellectuelle qui s'auto-félicite, ce n'est pas du tout la culture d'aujourd'hui'.»
Le mot «mail», par exemple, ne désigne pas dans ce nouveau dictionnaire les courriers électroniques que nous recevons tous les jours. Il y est défini comme un «petit marteau», ou une «promenade publique».
Pas de rösti, pas de carac
Le travail du linguiste, rappelle Mathieu Avanzi, par ailleurs star sur Instagram, est de décrire les phénomènes du langage, comment il évolue. «J'aime avoir une vision non franco-centrée, confie-t-il. L'Académie française le fait un peu, notamment en proposant des liens vers la Base de données lexicographiques panfrancophone. Mais si l'on cherche des mots romands dans leur dictionnaire, il y en a en tout et pour tout dix-neuf.»
Le linguiste s'en amuse: «Par exemple, on trouve la définition d'un mot valaisan qui désigne un type de rochers. Mais on se trouve ni rösti, ni carac, alors que les régionalismes de la gastronomie sous les premiers à s'exporter», développe-t-il. L'académicien reconnaît qu'un dictionnaire ne peut pas contenir tous les mots de toutes les régions. «Mais on ne travaille plus comme ça, aujourd'hui les dictionnaires sont souvent participatifs», souligne-t-il.
Mieux vaut investir dans un Larousse ou un Robert
Pour Mathieu Avanzi, le fait qu'il n'y ait pas de linguistes parmi les immortels n'est pas le vrai problème. «C'est plutôt qu'il est totalement incomplet par rapport au Larousse ou au Robert. Il coûte par ailleurs très cher, il vaut mieux investir dans un abonnement pour ces autres dictionnaires», conseille le professeur à l'UniNE.
Ainsi, des mots très courants, comme «bisous», sont absents de la neuvième édition du dictionnaire de l'Académie. «Il ne peut pas être de référence, parce qu'il n'est pas complet», résume Mathieu Avanzi.
Déconnecté des réalités
Il reconnaît tout de même des qualités à l'ouvrage de l'Académie, dont il utilise parfois la version en ligne avec ses étudiants. «Leur base de données est très bien faite, ainsi que leur moteur de recherche qui permet de chercher les différentes versions au fil des éditions, illustre le linguiste. Les liens avec le reste de la francophonie et les dictionnaires régionaux sont bien aussi, mais dans cette dernière version, il n'y a rien à sauver.»
Le cinéma autour du dictionnaire, remis au président Emmanuel Macron lors d'une cérémonie, agace le créateur de «Français de nos régions». «Je trouve cela gênant pour un truc qui a beaucoup perdu de sa superbe et est régulièrement critiqué, souligne Mathieu Avanzi. Ils sont complètement déconnectés des réalités de 99,9% de la population française.»
Comment expliquer ces définitions archaïques?
L’Académie française a commencé à travailler sur ce 9ème ouvrage dans les années 1980. Elle procède par tranche. Celle qui vient d'être achevée va de R à Z. «Elle travaille déjà très lentement, tance Mathieu Avanzi. Elle ne revient pas en arrière sur des définitions écrites par le passé. Si certaines ne sont plus au goût du jour, elles l’ont eu été, comme les relations sexuelles 'naturelles' pour parler d’hétérosexualité», illustre le professeur.
Il déplore par ailleurs que le travail de l'Académie ne défende que «ses intérêts de parisiens d'une certaine caste», à l'inverse d'autres initiatives similaires. Il cite en ce sens l'Académie royale, en Espagne, qui travaille avec des linguistes pour faire un travail de description de la langue.
«Leurs décisions sont prises de façon collégiale entre chaque pays hispanophone», précise Mathieu Avanzi. Et en Suisse, le Glossaire des patois de la Suisse romande accomplit un travail monumental pour documenter le parler local.»