Le «suisse romand» n’est peut-être pas une langue (ni un dialecte) à proprement parler, mais ce n’est pas non plus du français de France (ou de Belgique, ou du Canada…). «Natel», «nom de bleu», «panosse»: autant d’expressions typiquement romandes qui trahissent le welsch moyen, notamment lorsqu’il visite d’autres contrées francophones.
Des «particularismes» bien suisses, dont on devrait être fiers, estime Mathieu Avanzi, professeur ordinaire à l’Université de Neuchâtel (UniNE) et directeur du Centre de dialectologie et d’étude du français régional. C'est pourquoi il lance ce lundi 14 octobre l’application «Dis voir». Un projet de recherche participatif sur le français parlé en Suisse romande, qui prend la forme d’une appli pour smartphone ludique et gratuite.
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L'hégémonie du «bon français» est-elle de l'histoire ancienne? «Dans les années 1970, il fallait parler comme un Parisien. Utiliser des expressions romandes, même en Suisse romande, était considéré comme faire des fautes. Aujourd’hui, une fierté du parler romand est en train de naître!», avance le chercheur, qui espère ainsi «légitimer» les particularismes régionaux.
Au menu, des jeux pour se familiariser aux expressions et accents des cantons romands: deviner la signification de mots typiques, identifier d’où vient l’accent de tel ou tel autre utilisateur, enregistrer son propre accent… Le tout, en contribuant à la recherche. Les données étant collectées par l’UniNE (avec le consentement des utilisateurs).
«Fribourgeois avant d’être Romand»
Pour Mathieu Avanzi, ce qui est fascinant, c’est surtout la capacité d’un territoire aussi petit que la Suisse romande à faire naître autant de petites spécificités régionales. C’est assez inédit, et ça mérite que la recherche s’y intéresse davantage: «La Suisse romande, malgré sa petite taille, est véritablement un laboratoire vivant pour l’analyse des bizarreries — ou plutôt des particularismes (rire) — qu’on trouve dans la langue française.»
À l’origine du phénomène, «l’histoire, assez complexe, du français en Suisse. Et, surtout, le fédéralisme. En Suisse, on est d’abord bourgeois de sa commune, puis Fribourgeois, par exemple, avant d’être Romand. Cette attache au canton est très présente et a un effet très important sur le français de Suisse, explique l’expert. Et puis il y a le bilinguisme, la coexistence directe avec l’allemand dans certains cantons, qui joue aussi un rôle» dans la manière dont on parle français.
(Re)naissance d’une forte identité romande?
S’il n’est plus de mauvais ton d’utiliser des expressions types de son canton au quotidien, c'est parce que le paradigme a changé, estime Mathieu Avanzi. «C’est un engouement assez récent qu’on retrouve aussi au Québec, par exemple. On le voit dans les études réalisées à ce propos, et à la fierté qu’affichent les Romands quand une expression ou un mot qu’ils utilisent couramment entrent dans le Robert ou le Larousse par exemple.»
Et, pour le chercheur, internet n’y est pas non plus pour rien: les réseaux sociaux et la pub sont aussi «des bons indicateurs» de cet engouement pour nos spécificités régionales. «A l’image de ce qui se fait déjà depuis longtemps chez les Alémaniques, la publicité intègre de plus en plus les dimensions cantonales» dans le langage qu’elle utilise.
Les réseaux sociaux ont quant à eux créé des sortes de communautés en ligne, analyse le chercheur. Des communautés qui défendent leurs régionalismes (via des pages humoristiques par exemple) à travers la toile.