Fait historique: le canton du Valais va proposer un soutien financier pour les soins dentaires! Jeudi 14 mars, le Grand Conseil (législatif) a accepté de manière quasi unanime d'aider les familles les plus modestes à aller chez le dentiste. Des dizaines de projets similaires ont été rejetés à Berne au fil des législatures.
Dans les faits, la loi votée en Valais prévoit une aide de 500 francs par an pour les ménages précaires. C'est-à-dire, ceux qui sont juste au-dessus des seuils pour bénéficier de l'aide sociale — qui rembourse, elle, les frais dentaires. Seule l'Union démocratique du centre (UDC) s'est abstenue. Le conseiller d'État socialiste Mathias Reynard, chargé de la santé, se livre à Blick après cette victoire de la gauche.
Mathias Reynard, c'est définitif, Berne n'en a rien à faire des familles pauvres qui ont des problèmes de dents et les Cantons doivent agir?
J'ai siégé au Conseil national pendant dix ans et cette question a été soulevée par la gauche à plusieurs reprises. À chaque fois, la droite parle de responsabilité individuelle, or les dents font partie du corps. La majorité du Parlement fédéral n'a aucune volonté de changer les choses, donc des initiatives populaires émanent de la gauche dans les cantons, surtout romands. Mes collègues socialistes Pierre-Yves Maillard et Laurent Kurth se sont battus, dans le canton de Vaud et à Neuchâtel, malheureusement sans succès.
Qu'est-ce qui a marché en Valais?
Les initiatives que j'évoquais ont notamment échoué par manque de compromis trouvé. Les textes qui demandaient une assurance dentaire étaient catégoriques: soit l'assurance, soit rien. Le Valais est, à ma connaissance, le premier canton à avoir trouvé un compromis. On est loin de cette prime dentaire universelle, ça ne concerne pas l'ensemble de la population. Mais 7000 personnes pourront toucher cette aide.
Est-ce que ce n'est pas complètement dingue dans un pays riche comme la Suisse que des gens ne puissent pas se payer le dentiste?
C'est complètement dingue. L'observatoire valaisan de la santé montre que 27% des gens renoncent à aller chez le dentiste. Il ne s'agit pas forcément de soins urgents, mais de gens qui n'ont pas été faire de contrôle depuis des années, par exemple, car ils sont trop serrés financièrement. Or, on sait que les soucis aux dents augmentent massivement les risques de problèmes cardio-vasculaires. Au final, ça coûte plus cher au système, on ne fait pas d'économies!
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Les gens qui n'ont pas l'habitude d'aller chez le dentiste vont-ils s'y rendre parce que c'est remboursé?
Le plan d'action, c'est aussi d'augmenter largement la prévention. Dans les écoles, d'une part, jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire. Les soins bucco-dentaires seront remboursés jusqu'à 18 ans, et non 16 ans comme aujourd'hui.
Les plus vieux auront-ils droit à une action similaire?
Nous allons aussi agir dans les EMS, où la situation est très problématique, selon le dentiste répondant pour le Canton. On va mettre en place un contrôle systématique lors de l'admission des nouveaux pensionnaires de ces établissements. Pareil dans les institutions pour personnes en situation de handicap.
Combien tout cela va-t-il coûter?
Le budget est fixé à 1,8 million par an. Un million est à la charge de l'État, et 800'000 francs à celle des communes.
Ça ne semble pas énorme?
Ça n'est pas rien dans un canton comme le Valais. La droite voulait inscrire dans la loi une limite à 500 francs d'aide par ménage. Une somme qui convient à la gauche, car elle permet d'aller chez l'hygiéniste, ou de se faire enlever une carie. Mais l'inscription de cette limite a été finalement rejetée au Parlement. Cela permettra au Conseil d'État d'évaluer combien de personnes se sont fait rembourser quels montants. Dans une année ou deux, nous ferons un bilan et verrons si nous pouvons étendre l'aide à davantage de ménages.
Comment cela va-t-il marcher? À qui envoyer la facture?
La loi entrera en vigueur en janvier 2025. Tous les potentiels bénéficiaires recevront une lettre pour leur annoncer, en fin d'année 2024, qu'ils pourront être aidés. Cela permet de prendre rendez-vous chez le dentiste en amont. Les gens enverront directement leurs factures à la caisse de compensation de l'État du Valais, qui gère déjà les allocations de ménage et donc connaît les situations des familles. C'est moins bureaucratique et évite d'engager du personnel en plus.
Vous proposez une loi cantonale, il n'y a donc plus d'espoir à Berne?
La solution devrait être fédérale, les dents devraient être dans la LaMal. Ça n'est pas le cas, donc on essaie de combler, à notre petite échelle, un problème qui devrait être réglé par nos élus fédéraux. Je regrette que ça ne soit pas le cas. C'est un vrai problème de santé publique. On aimerait étendre cette aide à la classe moyenne, mais avec nos moyens limités, on peut déjà changer la vie de 7000 personnes des classes populaires.
Où se situe la Suisse par rapport aux pays voisins en matière d'accès aux soins?
On n'est vraiment pas bon, bien que la qualité de notre système de santé soit exceptionnelle. On n'a de loin pas les mêmes problèmes qu'en France, par exemple, quand on observe la situation de leurs hôpitaux. Mais tout le monde n'est pas logé à la même enseigne chez nous.
Pourtant, les patients à l'aide sociale sont épaulés, le dentiste est remboursé?
En termes de justice sociale, notre système n'est pas bon. Oui, les gens qui touchent des prestations complémentaires ou sont à l'aide sociale sont aidés pour les prestations dentaires. Mais la catégorie juste au-dessus, c'est zéro. Et être «juste au-dessus de l'aide sociale», c'est quand même être très précaire. Pour payer le dentiste, il faut se débrouiller, ou ne pas y aller.