La situation est paradoxale. Alors que le Conseil fédéral appelle la population et les entreprises à économiser de l’énergie, les entreprises vendent des kilowattheures économisés par notre pays à l’étranger et à des prix très élevés.
Les faits sont toutefois complexes. En réalité, la Suisse produit depuis des années plus d’électricité en été que ce dont elle a besoin. Or, une fois venu l’hiver, elle doit importer. Cela ne changera pas tout de suite si nous commençons à réduire notre consommation d’électricité, comme le préconise le Conseil fédéral dans sa campagne d’économie d’énergie présentée mercredi.
Pas d’espace de stockage
Détail important: nous ne pouvons pas stocker d’énergie en Suisse. Il n’y a tout simplement pas assez de place dans nos lacs de retenue pour toute l’eau qui devrait encore s’y écouler d’ici l’hiver. De nombreux lacs de retenue sont déjà bien remplis.
À l’Association des entreprises électriques suisses (AES), sous la direction de Michael Frank, on invite à regarder ce qu’il se passe du côté du glacier d’Aletsch. Cet été, il fond tellement que «le barrage de Gebidem ne peut plus du tout absorber toute l’eau de fonte», explique un porte-parole. Bien que les turbines fonctionnent à leur puissance maximale, il n’est pas du tout possible d’exploiter tout le potentiel de la quantité d’eau totale.
Préserver les réserves de gaz
À cause de cette situation, mais aussi des centrales au fil de l’eau et des installations solaires qui fournissent actuellement de l’électricité en continu, on peut comprendre, selon l’AES, «qu’il est tout à fait judicieux de vendre l’électricité excédentaire à l’étranger».
D’après l’association, en vendant de l’électricité à l’étranger, la Suisse préserve également les réservoirs de gaz européens. En effet, comme plus de la moitié des centrales nucléaires françaises sont actuellement à l’arrêt, l’Allemagne produit actuellement une quantité particulièrement importante de gaz.
«Chaque kilowattheure que nous fournissons actuellement à l’Allemagne depuis la Suisse fait baisser la quantité de gaz qui doit y être transformé en électricité. L’exportation actuelle d’électricité aide donc dans l’optique d’un approvisionnement hivernal critique», justifie l’AES.
Les caisses sonnent
Une information de la «Handelszeitung» avait toutefois fait tiquer. Le média alémanique rapportait que les entreprises énergétiques suisses faisaient actuellement de bonnes affaires avec l’électricité que nous économisons sous la pression du Conseil fédéral.
Dans les faits, des prix records sont actuellement proposés pour l’électricité, et chaque kilowattheure qui peut être vendu à l’étranger fait sonner les caisses des fournisseurs d’énergie.
L’AES nuance ces allégations: «Il faut savoir que la majeure partie de l’énergie contenue dans nos lacs d’accumulation a déjà été vendue il y a longtemps, et ce à des prix de marché bien plus bas.»
Les économies sont encore faibles
En Suisse, nous commençons à peine à faire plus attention à notre consommation d’énergie. Selon l’association, la quantité d’électricité économisée par les ménages et les entreprises devrait être encore faible à l’heure actuelle.
L’Office fédéral de l’énergie souligne d’ailleurs que l’objectif de la campagne d’économies est aussi d’inciter les Suisses à s’y prendre à l’avance, afin que cela ne soit plus nécessaire lorsque la situation sera vraiment tendue. «Cela nécessite un certain temps de préparation, explique la porte-parole Marianne Zünd dans la «Handelszeitung». Tout au plus, certains achètent maintenant encore un pommeau de douche à économie d’eau ou des multiprises ou des couvercles pour les casseroles, ou ils regardent dans le mode d’emploi de la machine à laver comment le programme éco doit être enclenché.»
Des craintes pour mars et avril
Même si les entreprises d’électricité vendent maintenant une partie de l’électricité à prix fort en Allemagne, l’AES affirme que «l’énergie que nous ne gaspillons pas maintenant préserve les réservoirs d’eau et de gaz et nous sert en vue de l’approvisionnement hivernal critique». C’est pourquoi il est important «que la campagne d’économie d’énergie soit un succès et que nous y contribuions tous – entreprises et particuliers».
Comme l’affirme la ministre de l’Énergie, Simonetta Sommaruga, le risque d’une pénurie d’électricité est particulièrement élevé en mars et avril 2023. Jusqu’à ce qu’il fasse jour plus longtemps, c’est-à-dire qu’il y ait à nouveau plus d’électricité solaire, la Suisse devra importer de l’électricité en hiver. Si l’électricité se fait de plus en plus rare dans les pays voisins, cela pourrait s’avérer difficile.
L’annonce selon laquelle la France veut redémarrer toutes ses centrales nucléaires d’ici l’hiver suscite également de l’espoir.