C'est une «victoire historique» pour les associations queers. Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé la peine de 40 jours de prison ferme pour Alain Soral, dans un arrêt publié le 18 avril. L'idéologue d'extrême-droite, résidant lausannois, a été condamné pour discrimination et incitation à la haine en raison de l'orientation sexuelle.
Les faits remontent à 2021. Mécontent d'un article d'une journaliste de la «Tribune de Genève» et «24 heures», il avait publié une vidéo dans laquelle il taxait l'auteure de «grosse lesbienne» et «militante queer», insinuant que ce dernier terme voulait dire «désaxée», publiant même une photo de l'intéressée.
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Depuis juillet 2020, l'article 216bis du Code pénal réprime la discrimination et l'incitation à la haine fondée sur l'orientation sexuelle. C'est la première fois qu'une affaire liée à cette nouvelle disposition atterrit devant les juges de Mon-Repos.
Une satisfaction pour le procureur général du canton de Vaud, Eric Kaltenrieder? Le Morgien parle à Blick de sa première «grosse» affaire médiatique depuis son entrée en fonction, le 1er janvier 2023. Interview.
Monsieur le procureur général, est-ce la victoire la plus retentissante de votre carrière?
Ce n'est pas une affaire personnelle. Je représente la poursuite pénale étatique et je n'aime pas parler de victoire. Mais c'est vrai que c'est, depuis mon arrivée, la première affaire vaudoise très médiatisée dont j'ai la charge qui se termine devant le Tribunal fédéral.
Mais comment prenez-vous cet arrêt, à titre personnel?
Je suis très satisfait que les juges aient confirmé la position que le Ministère public a portée dès le début. C'est la première jurisprudence qui aura une portée fédérale au sujet de cet article 261bis du Code pénal en relation avec l'orientation sexuelle.
Est-ce qu'il aura fallu le «dérapage» d'une personnalité publique pour faire jurisprudence?
Il y a deux volets. Sur le principe de la condamnation, je ne pense pas que c'est parce qu'Alain Soral est une personnalité publique qu'il a été condamné. C'est parce qu'il a commis cette infraction. Toute autre personne qui aurait, dans le même contexte, dans la même vidéo, tenu les mêmes propos, aurait aussi été condamnée.
Et le second volet?
C’est le côté médiatique. La personnalité publique de Monsieur Soral a contribué à populariser la thématique. À chaque échelon de la procédure — ordonnance pénale, puis tribunal de police qui avait acquitté Monsieur Soral, cour d'appel pénale qui l'a condamné après l'appel du Ministère public, puis TF —, l'affaire a été rendue très visible. Mais encore une fois, ça n'est pas parce qu'il était connu qu'il a été condamné.
Existe, ou existera-t-il, une liste définie de ce qui est possible de dire ou non?
Tout dépend aussi du contexte dans lequel les termes sont utilisés. On ne peut pas dire qu'il y a une liste de mots qu'on ne peut pas prononcer. Plusieurs facteurs sont pris en compte.
Lesquels?
Il y a d'abord l'intention de la personne qui les prononce. Une personne coupable d’injure ou de diffamation doit vouloir porter atteinte à l'honneur du destinataire de ses propos. Dans le cadre de l'article 261bis, il y a notamment la notion d’appeler à la haine ou à la discrimination des homosexuels.
En public, donc?
Oui, dans ce cas les propos doivent avoir été tenus dans un cadre public. C’est alors une question de protection de la dignité humaine et de la paix publique, en quelque sorte.
Pensez-vous que cette décision aura un véritable impact dans toute la Suisse?
C'est un arrêt de la plus haute Cour du pays, il aura donc une portée sur le plan fédéral. Cette jurisprudence s'appliquera à tous les cantons, avec le même impact en Suisse romande, au Tessin, en Suisse alémanique.
Un canton est-il plus touché qu’un autre par des plaintes pour infractions à l’article 261bis?
Je ne saurai vous dire. C’est la première fois que le TF traite une affaire concernant ce sujet. Avant cet arrêt, ce n'étaient pas des affaires qui avaient été au-delà des Cours cantonales. Je ne suis pas certain qu’il y en ait eu énormément puisque cette disposition est récente, elle a quatre ans.
À titre personnel, quelles seraient les trois valeurs auxquelles vous tenez le plus?
Je vous parle d’abord en tant que procureur général. Dès le moment où ces propos tombaient sous le coup de la loi pénale, ils n’avaient leur place nulle part. Ainsi, je suis, d’une manière générale, très attaché au respect de la loi et de son application.
Et au-delà de votre fonction?
Je porte attention à l’égalité de traitement. Tout le monde doit être traité de la même manière. Et ensuite, à titre plus personnel, à la notion d’intégrité.
Depuis le cas d’Alain Soral, les dénonciations en lien avec le respect de l’orientation sexuelle ont-elles beaucoup augmenté?
C'est un peu trop tôt pour le dire par rapport à l'arrêt du TF. Il n'a que cinq jours. On ne peut pas exclure que certaines personnes, qui ont désormais connaissance de cette jurisprudence, en viendront à dénoncer des situations. Mais pour l'heure, il n'y a pas d'explosion des cas.
Au moment de votre élection, vous présentiez vos trois combats: la cybercriminalité, la criminalité économique et la violence domestique. La réalité du poste vous a-t-elle fait revoir vos priorités?
Ce sont toujours des points d'attention pour le Ministère public. La cybercriminalité et la criminalité économique sont des domaines en plein essort, si l’on regarde les statistiques. La violence domestique existe depuis toujours, mais la parole s'est déliée. Cela permet aux autorités de poursuite pénale d'être plus souvent saisies et d'instruire ce type d'infractions.
Vous vous êtes dit inquiet de la teneur de plus en plus brutale des crimes, vous parlez spécifiquement d’agressions?
Il y a de plus en plus d'agressions, oui, mais aussi de brigandages. Il y a également une augmentation du nombre de cas impliquant des jeunes. Même si, directement, le Tribunal des mineurs est compétent pour les condamner, on le constate aussi au niveau du Ministère public.
Qu’entendez-vous par brutale?
Des cas de criminalité grave, avec des armes, notamment des armes blanches. C’est le cas dans la plupart des cantons romands.
Vous ne donnez pas beaucoup d’interview depuis votre entrée en fonction, le 1ᵉʳ janvier 2023. Vous préférez travailler que parler de vous?
Je ne suis pas là pour parler de moi. Quand on me sollicite, je réponds volontiers, mais je ne cherche pas nécessairement à communiquer à tout-va lorsque ce n'est pas nécessaire.