Après le choc, le traumatisme. La meurtrière tempête de La Chaux-de-Fonds de ce lundi 24 juillet hantera longtemps les esprits neuchâtelois. Un mort et une quarantaine de blessés. Des dizaines de millions de francs de dégâts. Le bilan est lourd, tragique.
Il faudra collectivement remonter la pente. Mais comment traverser cet événement et les émotions qui y sont liées? Comment aiguiller et rassurer la population? Comment écouter et transmettre le témoignage de celles et ceux qui ont perdu tous leurs repères en l'espace de quelques secondes?
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Personne n'est mieux placé qu'Eric Lecluyse, rédacteur en chef d'«ArcInfo», pour tenter de répondre à ces interrogations. Celui qui dirige le vénérable quotidien régional raconte sans fard comment sa rédaction a vécu l'apocalypse de l'intérieur. Et comment ses équipes se sont démenées pour assurer leur mission dans ces circonstances difficiles: informer au plus près du terrain. Interview au «tu» confraternel (entre journalistes, on se tutoie souvent, même si on ne se connaît pas).
Eric Lecluyse, merci de prendre un peu de temps pour répondre à mes questions. Comment la nouvelle de la catastrophe t’est parvenue?
Nous avons un bureau à La Chaux-de-Fonds, donc par des messages de certains de nos journalistes qui ont quasi immédiatement alerté toute la rédaction.
Tu comprends tout de suite l’ampleur exceptionnelle du phénomène?
Je dirais qu’il m’a fallu 10 à 20 minutes pour réaliser à quel point c’était dingue. C’est quand j’ai vu les premières images, surtout celle de la grue tombée à la gare faisant un mort, que je me suis dit: «Mais comment c’est possible?!»
Comment réagit-on à ce moment précis, quand on est rédacteur en chef d’«ArcInfo»?
On passe en mode commando, on fonce. En réalité, désormais, nous sommes prêts à faire face à ce genre de phénomènes météorologiques inattendus. Nous nous attendons à ce qu’il y en ait un par an, ce qui démontre peut-être qu’il y a un problème.
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Quelle est l’atmosphère quand tout le monde se met en branle?
Ça m’a rappelé les inondations de Cressier, en 2021, et les débuts du Covid. Tout le monde est très tendu. Et on sait tout de suite qu’on sera sur le fil toute la journée. Au début, c’est l’adrénaline qui domine. Puis, lorsqu’on reçoit les premiers bilans et qu’on comprend que c’est lourd et douloureux, c’est l’émotion qui prend le pas.
A propos d’émotion, j’en ai ressenti beaucoup chez tous les officiels neuchâtelois que j’ai appelés ce lundi pour avoir des informations. Toi aussi, les événements t’ont chamboulé?
Comme je n’étais pas sur place, j’ai d’abord vécu les choses un peu par ricochet. Mais l’émotion n’a pas tardé à toucher toute la rédaction, au travers de la dizaine de nos journalistes et photographes qui sont allés sur place ou qui vivent sur place. Je peux te raconter une anecdote pour illustrer cette ambiance surréaliste. Une de nos journalistes, qui n’était pas sur le terrain, a quitté la rédaction dans l’urgence pour rejoindre sa famille domiciliée à La Chaux-de-Fonds car personne ne répondait à ses appels. Heureusement, au final tout le monde allait bien. Certains d’entre nous ont vécu la catastrophe intimement, en voyant tous leurs repères — dont certains remontent à l’enfance — être emportés par la tempête. C’est un choc difficile à encaisser.
En travaillant dans un média local, on vit toujours de près ou de loin les événements qui secouent sa région. C’est dans ces moments que la presse de proximité prouve son importance?
Absolument. Notre audience, 2,5 fois plus élevée que d’habitude, avec des pics de folie, démontre que l’information locale est essentielle. Je voyais aussi ce matin (ndlr: mardi) dans les cafés les gens qui lisaient notre édition imprimée, composée de beaucoup d’images et de bonnes histoires. Nous les avons obtenues parce que nous sommes sur place et que nous connaissons les interlocutrices et interlocuteurs. Nous pouvons non seulement mieux raconter les événements que d’autres, mais, surtout, nous sommes capables de mesurer instantanément l’émotion du moment. En plus de faire notre travail d’information, nous sommes donc en mesure d’apporter du réconfort et de l’aide. Notamment au travers d’articles axés «service».
Connaître les gens, ce n’est pas aussi parfois un frein pour faire correctement son travail?
Nous avons plus facilement de bonnes histoires originales, mais, c’est vrai que le travail de terrain est plus difficile pour un journaliste d’«ArcInfo» — qui connaît les gens qu’il interroge et qui sait qu’il les reverra — que pour un journaliste de Blick ou du «Temps», qui ne serait que de passage à La Chaux-de-Fonds. Nous, face à une personne visiblement choquée qui refuserait d’être citée, on passerait certainement davantage de temps avec pour l’écouter et échanger que la concurrence. Quitte à publier un peu après. Mais ce n’est pas l’essentiel dans ce genre de moments.
Qu’est-ce que tu retiens de ce drame?
Je n’y ai pas encore tout à fait réfléchi, la catastrophe n’est pas encore véritablement derrière. Il n’y a pas que le bilan matériel et humain immédiat: nous savons d’ores et déjà que cette tempête va durablement marquer les gens, que de nouvelles histoires en lien vont progressivement sortir.
Tu penses que des mois seront nécessaires pour retrouver la sérénité?
Oui, le processus de reconstruction sera long. Même s’il faut avancer. Toujours. On dit souvent qu’on passe du rire aux larmes et vice versa. Les gens vont rapidement avoir besoin de bonheur. À La Chaux-de-Fonds, il y a le festival international des arts de la rue de La Plage des six pompes qui devrait bientôt commencer. Il y aura aussi les festivités du 1er Août. Tout le monde aura besoin de se retrouver, de partager de bons moments.
En quatre ans, le canton de Neuchâtel a subi les inondations du Val-de-Ruz, de Cressier et maintenant la tempête de La Chaux-de-Fonds. Est-ce que les autorités en font assez en termes de protection de la population?
La prise de conscience concernant ces risques existe, pas mal de fonds ont été débloqués. Je ne pense pas que le gouvernement sous-estime la problématique. Cependant, si ce genre d’événements se multiplient, il faudra peut-être réfléchir à un système d’alerte générale, même si celle-ci n’est donnée que trois minutes avant la catastrophe. À voir si c’est possible.