Le patron de la Bourse suisse sur l'avenir de l'argent liquide
«Dans cinq ans, un Bancomat sur deux aura disparu»

Jos Dijsselhof, patron de SIX Group, est responsable de l'infrastructure de la place financière suisse. Avec le SonntagsBlick, il parle de l'influence des banques, des entrées en bourse à l'étranger et de l'avenir de Twint.
Publié: 23.01.2022 à 06:09 heures
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Dernière mise à jour: 23.01.2022 à 09:22 heures
Jos Dijsselhof est CEO du groupe SIX depuis 2018.
Photo: NILSSANDMEIER.COM
Thomas Schlittler

En tant que CEO de SIX, quelle est votre perspective sur la pandémie de Covid-19?
Jos Dijsselhof: La pandémie ne fait pas de bien à la société. La patience de beaucoup est à bout, nous le remarquons aussi chez nos collaborateurs. J’espère donc sincèrement que tout cela sera bientôt terminé. Mais heureusement, d’un point de vue commercial, nous avons plutôt bien traversé la crise.

C’est peu dire. Pour SIX, la pandémie a été une bénédiction. Le volume des transactions en bourse n’a jamais été aussi élevé. Les frais de transaction vous ont permis de réaliser des recettes records.
L’incertitude en 2020 a effectivement permis de battre de nouveaux records en termes de volume de transactions. En 2021, nous avons de nouveau connu une bonne année, mais la situation s’est à nouveau normalisée. A long terme, l’incertitude permanente est également mauvaise pour nous en tant qu’opérateur boursier et prestataire de services financiers. Après tout, notre succès dépend de l’économie réelle.

Est-ce vraiment le cas? Si l’on considère les bénéfices du secteur financier pendant cette pandémie, on se croirait au casino. Quoi qu’il arrive, c’est toujours la banque qui gagne à la fin.
Je ne partage pas cette appréciation. A long terme, les banques suisses ne peuvent réussir que si les entreprises suisses réussissent également. De même, les succès de SIX ne sont possibles que parce que l’économie suisse s’est montrée très résistante pendant la crise. Et je tiens à préciser que nous ne sommes pas une banque.

Portrait: Jos Dijsselhof

Le Néerlandais Jos Dijsselhof, 56 ans, est CEO du groupe SIX depuis 2018. Ses 3500 collaborateurs ne gèrent pas seulement la bourse suisse, mais sont également responsables d'une grande partie de l'infrastructure de paiement locale. Avant de venir en Suisse, il a dirigé les opérations d'Euronext. Il a deux enfants avec sa femme et vit à Adliswil (ZH).

Le Néerlandais Jos Dijsselhof, 56 ans, est CEO du groupe SIX depuis 2018. Ses 3500 collaborateurs ne gèrent pas seulement la bourse suisse, mais sont également responsables d'une grande partie de l'infrastructure de paiement locale. Avant de venir en Suisse, il a dirigé les opérations d'Euronext. Il a deux enfants avec sa femme et vit à Adliswil (ZH).

Mais SIX appartient aux banques. Ses principaux actionnaires sont l’UBS, le Credit Suisse et les banques cantonales. Quelle influence ont-ils?
Les actionnaires ont bien sûr des représentants au sein de notre conseil d’administration et exercent ainsi une influence sur notre stratégie.

SIX exploite presque tous les Bancomats en Suisse. En 2020, le nombre de retraits d’espèces a fortement chuté, parfois jusqu’à 50%. Cette tendance s’est-elle poursuivie l’année dernière?
Le nombre de retraits d’espèces s’est à nouveau stabilisé, mais à un niveau plus bas qu’avant la pandémie de Covid-19. La tendance est claire: l’argent liquide a toujours plus du mal à s’imposer. Le monitoring que nous faisons pour les banques montre que de nombreux Bancomats sont déficitaires. En Suisse, il y a environ 7000 Bancomats aujourd’hui. C’est clairement trop.

Que voulez dire par là?
Personne n’aime perdre de l’argent dans une offre qui n’est plus beaucoup demandée. D’ici cinq ans, un Bancomat sur deux aura probablement disparu en Suisse. A l’avenir, les banques n’auront plus leurs propres Bancomats, mais l’exploitation sera confiée à une entreprise tierce – peut-être à nous. Le Bancomat du futur reconnaîtra, à l’aide de la carte, dans quelle banque le client a son compte et adaptera son apparence en conséquence. C’est déjà une réalité à l’étranger.

L’argent liquide fait partie de l’ancien monde, le paiement mobile du nouveau. SIX est également impliqué avec Twint. Quels sont les projets de cette société?
Twint a reçu un coup de pouce supplémentaire grâce au Covid-19. Il y a désormais plus de quatre millions d’utilisateurs actifs en Suisse. Afin de maintenir l’attrait de l’application, nous travaillons en permanence à l’augmentation du nombre de points d’acceptation. Il est également très important de regarder au-delà des frontières nationales. Nous devons faire en sorte, qu’à l’avenir, il soit également possible de payer avec Twint à l’étranger. Ce sera bientôt le cas.

En 2021, 13 entreprises suisses ont osé faire leur entrée en bourse. C’est beaucoup par rapport à d’autres pays. Mais la majorité de ces entreprises ont fait leur introduction en Bourse à l’étranger, le plus souvent aux États-Unis. Pourquoi?
Les entreprises suisses ont des raisons complètement différentes de se lancer à l’étranger. L’entreprise d’articles de sport On, par exemple, voit un grand potentiel de croissance aux Etats-Unis, c’est pourquoi une entrée en bourse à New York était logique de son point de vue. Les start-ups de biotechnologie sont attirées par les États-Unis parce qu’elles y trouvent plus de capital-risques qu’en Europe. Mais ce n’est pas nouveau. Il y a toujours eu et il y aura toujours des introductions en bourse à l’étranger. Nous devons vivre avec cela. Mais dans l’ensemble, la Bourse suisse est très bien positionnée.

Les marchés financiers sont plus globaux que jamais. Une start-up suisse prometteuse qui entre en bourse à New York ne doit pas pour autant renoncer au capital suisse. Qu’est-ce qui plaide encore en faveur d’une entrée en bourse à Zurich?
Il y a effectivement une tendance à la consolidation. Mais cela concerne surtout les petites places de marché. En revanche, la Suisse a la troisième plus grande bourse d’Europe. Nous sommes un grand acteur sur l’un des plus grands marchés financiers du monde et donc toujours aussi attractifs. Les entreprises suisses génèrent peut-être un peu moins de capital au début, mais à long terme, elles s’en sortent souvent mieux chez nous. C’est pourquoi les entreprises qui sont entrées en bourse aux Etats-Unis sont parfois même intéressées à revenir en Suisse. Sur l’immense marché américain, il y a un risque de passer inaperçu.

Il y a quelques mois, vous avez lancé le nouveau segment «Sparks», qui doit faciliter la levée de capitaux pour les PME suisses. A qui s’adresse exactement cette offre?
Elle s’adresse aux entreprises pour lesquelles les frais importants d’une entrée à la bourse principale sont encore trop élevés, mais qui souhaitent tout de même acquérir de nouveaux fonds sur le marché des capitaux. Il peut s’agir aussi bien de start-ups classiques que d’entreprises familiales traditionnelles qui existent depuis de nombreuses années avec succès.

Pourquoi cela est-il nécessaire? Les conditions d’octroi d’un crédit auprès d’une banque n’ont jamais été aussi bonnes.
Les banques sont parfois très strictes dans l’octroi de crédits aux entreprises, notamment en raison des prescriptions en matière de capital. De plus, certaines entreprises veulent être aussi indépendantes que possible de leur banque. Aux États-Unis, les PME se financent à 70% sur les marchés des capitaux et à 30% seulement par le biais des banques. Chez nous, c’est exactement l’inverse. Nous voyons donc un grand potentiel pour notre nouvelle offre.

En février, la Suisse votera sur l’abolition du droit d’émission. Ce droit de timbre d’1% est dû lorsqu’une entreprise se procure des fonds propres, par exemple en émettant des actions. Quelles seraient les conséquences d’un oui pour SIX?
La levée de capitaux en Suisse deviendrait ainsi plus attrayante par rapport à d’autres pays. Nous sommes donc favorables à une suppression.

Y a-t-il vraiment des entreprises qui renoncent à une augmentation de capital en raison de ce droit de 1%?
Le droit de timbre peut avoir une influence pour certaines. Mais ce n’est certainement pas le critère décisif. Pourtant, un tel impôt n’existe pratiquement dans aucun autre pays. Sa suppression serait donc une bonne chose, car elle renforcerait l’attractivité de notre place économique.

(Adaptation par Jessica Chautems)

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