Ils n’ont pas le droit de faire grève – en théorie. N’empêche que, à la suite du placement en détention du policier impliqué dans la mort du jeune Nahel, ainsi que d’un autre agent soupçonné de violences policières à Marseille, les forces de l’ordre françaises se soulèvent et lèvent le pied.
Cela à coups d’arrêt maladie, ou de «service minimum»: c’est-à-dire que «les appels à police de secours sont honorés. Par contre, tout ce qui est sur initiative, procès-verbal, numérique, pour l’instant, c'est à l’arrêt», explicite le secrétaire régional d’une unité de police marseillaise à France Bleu.
L’événement, assez exceptionnel, n’a pas manqué d’attirer l’attention. André Kuhn, criminologue à l’Université de Neuchâtel, s’est ainsi fendu d’un tweet à ce sujet, le mercredi 26 juillet. «Grève des policiers en France: voilà une exceptionnelle opportunité de tester scientifiquement l’hypothèse que moins de policiers fait diminuer la criminalité…», écrit-il notamment.
Blick a contacté le chercheur au postulat polémique. Défendeur d’une police plus «sociale», qui serait mieux adaptée à notre époque, il nous explique comment l’actualité française pourrait faire évoluer notre conception de la sécurité. Interview.
André Kuhn, vous êtes criminologue. Et vous pensez que la police ne sert à rien, si on en croit votre position sur les réseaux sociaux.
Ce que j’exprime sur les réseaux sociaux, c’est une hypothèse – à mettre à l’épreuve de la réalité – plutôt qu’une position. Une hypothèse qui stipule que la police alimente la criminalité au lieu de la diminuer, oui.
Vous écrivez que «moins de policiers fait diminuer la criminalité»… Vous pouvez nous en dire plus?
L’idée qu’il y a derrière mon hypothèse est la suivante: souvent, lorsque les citoyens d’une ville ou d’un pays craignent pour leur sécurité, ils réclament davantage de présence policière. Or, lorsqu’on met, de fait, plus d’agents dans les rues, on constate que cela génère encore plus de craintes chez les gens. En d’autres termes, plus il y a de policiers, plus les gens ont peur. Et plus les gens ont peur, plus ils réclament de la présence policière. De la même manière, la police pense régler le problème de la criminalité à elle toute seule, mais peut-être qu’elle est aussi l’une des causes du problème.
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C’est-à-dire?
On voit souvent des manifestants lancer des pavés ou autres objets sur des policiers, ces dernières années. Mais les agents ainsi visés ne sont pas des agents lambda: ils ont des casques, des boucliers, des matraques, etc. Je n’ai jamais vu de manifestants lancer quelques objets que ce soit sur un agent des forces de l’ordre désarmé. Ainsi, je pense qu’une police plus «sociale», de proximité, serait nettement plus adaptée aux sociétés du 21ᵉ siècle qu’une police répressive. Face à des agents habillés en RoboCop, avec leurs boucliers et leur arme en mains, je pense que les quidams et les manifestants peuvent se sentir provoqués, en quelque sorte. D’où le cercle vicieux de violences qui s’ensuit.
Ne seriez-vous pas un peu anarchiste?
Vous pouvez me traiter d’anarchiste ou de gauchiste, peu importe. Je suis avant tout un scientifique. Et la science a pour devoir de remettre en question les croyances et les connaissances de nos sociétés. Mon travail, c’est de poser des questions. Or, de nos jours, les gens qui osent poser des questions sont vite classés dans les cases «opposants» ou «dissidents». Le fait que la police sert à quelque chose est une croyance, et pas une réalité, jusqu’à preuve du contraire.
Des villes sans police, est-ce vraiment possible – et surtout souhaitable?
Possible? Oui. Mais personne ne sait quels en seraient les effets. C’est pour cela que la situation française m’intéresse beaucoup, en ce moment: c’est comme une expérience scientifique grandeur nature. On verra s’il y a vraiment plus de délits, avec moins de police.
Une société qui se détourne de ses forces de l’ordre, censées la servir et la protéger… N’est-ce pas dangereux pour le bon fonctionnement de la démocratie?
Le vrai problème, ce n’est pas la police en soi, mais son fonctionnement. Je le répète: il faudrait probablement une autre police, aujourd’hui. Une police plus «sociale», une police de proximité à qui on a vraiment envie de faire confiance. Voire même des travailleurs sociaux, à la place d’agents de police répressive.