Il fut un temps où le 14 juillet, en France, n’était qu’une fête. Une fête, c’est vrai, née d’un soulèvement populaire violent et meurtrier, le 14 juillet 1789, jour de la prise de la prison de la Bastille à Paris. Une fête devenue fête nationale et républicaine en 1880, soit près d’un siècle plus tard. Or voilà que de plus en plus, au pays de Rouget de L’Isle, compositeur de «La Marseillaise», cette fête rime avec deuil et colère. Impossible, à la veille de cette journée de liesse et de bals, de ne pas craindre, dans l’hexagone et surtout dans les métropoles, une nouvelle explosion de violences urbaines…
Une fête nationale blessée
Et si le 14 juillet était blessé, désormais associé au pire et non au meilleur? Une date résonne comme une empreinte tragique: celle du 14 juillet 2016. Ce jour-là, sur la promenade des Anglais à Nice, le camion fou conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel tue 85 personnes et fait près de 500 blessés. Horreur absolue. La France entière pleure devant ses feux d’artifice et ses pétards.
Sept ans plus tard, c’est une autre peur qui plane: celle, justement, des mortiers de feux d’artifice détournés par les émeutiers pour être tirés contre les forces de l’ordre ou simplement pour embraser les quartiers. Un long article dans l’édition du 13 juillet du quotidien «Le Monde» raconte l’appréhension des maires de banlieue et de tous les élus confrontés aux récentes explosions dans les quartiers.
«Quarante-cinq mille policiers et gendarmes devaient être mobilisés ce jeudi et vendredi soir. Malgré son interdiction, la vente de mortiers d’artifice aux particuliers s’organise sur Internet», peut-on lire. Et d’ajouter: «D’après les chiffres du Ministère de l’Intérieur, 150'000 mortiers et feux d’artifice détenus illégalement ont été saisis depuis le 27 juin. De nombreuses préfectures ont pris des arrêtés similaires ces dernières semaines face à l’utilisation massive d’engins pyrotechniques.»
«Mortier 8 coups, 25 mm, 10 euros l’unité…»
Ces mortiers, ces pétards, d’où viennent-ils? Sont-ils si répandus? La réponse est connue. Les engins pyrotechniques sont vendus pour l’essentiel sur internet. «Mortier 8 coups, 25 mm, 10 euros l’unité, 50 euros les six pièces»: sur ce fil Telegram de revente de mortiers d’artifice, l’interdiction ne semble pas avoir affecté les affaires ni les ventes. «J − 4 avant le 14 juillet», avertissait lundi sur l’application de messagerie instantanée cette chaîne sise à Lyon, poursuit «Le Monde».
Elle n’est que l’une des dizaines de boucles Telegram de ce type, spécialisées dans la revente de mortiers d’artifice, devenus une tradition estivale dans les banlieues françaises, et plus récemment une arme par destination massivement utilisée contre les forces de l’ordre lors des émeutes».
Des firmes basées en Asie
Les vendeurs? Des firmes souvent basées en Europe de l’Est ou en Asie (où les pétards sont très populaires, en particulier pour le Nouvel an chinois). Le circuit? Par internet, sur les moteurs de recherche commerciaux les plus connus comme Alibaba. Il suffit de taper «fireworks» (feux d’artifice en anglais) sur cette plateforme et quantités d’offres s’affichent, à partir d’une dizaine d’euros. Nous voilà loin du traditionnel bal des pompiers, et des flons-flons tranquilles des communes rurales françaises où la population se rassemble à l’orée d’un champ pour voir les fusées éclater dans la nuit.
Le gouvernement français n’a pas pour rien interdit, le 8 juillet, «la vente, le port, le transport et l’utilisation d’articles pyrotechniques et artifices de divertissement» aux particuliers sur l’ensemble du territoire national pour «prévenir les risques de troubles graves à l’ordre public au cours des festivités du 14 Juillet». L’inquiétude règne…
La tradition populaire
Et le 14 juillet, comme tradition? Il reste bien gravé dans les têtes, tant pour son côté festif que pour le traditionnel défilé militaire sur les Champs-Élysées qui verra, ce jeudi, le premier ministre Indien Narendra Modi aux côtés d’Emmanuel Macron dans la tribune officielle.
La question, pour la fête nationale, est à l’image de celle posée à la société française: cette commémoration, et ses rituels, parlent-ils encore de la même manière à l’ensemble de la population? Rappelons juste que chaque année, dans la nuit du 14 juillet, émeutes ou pas, entre 600 et 800 voitures sont incendiées à travers le pays.