Au sommet de l’OTAN qui s’achève ce mercredi à Vilnius (Lituanie), Joe Biden ne va pas suivre les conseils du centenaire Kissinger.
L’ancien secrétaire d’État américain, qui a fêté ses cent ans en mai, a défendu à plusieurs reprises l’entrée la plus rapide possible de l’Ukraine dans l’OTAN. Une option justifiée, selon ce vétéran des rapports de force internationaux, par une double nécessité: imposer une paix négociée entre Kiev et Moscou, et contrôler à l’avenir une Ukraine surarmée et auréolée de sa résistance contre la Russie.
Le président américain, lui, a choisi la stratégie inverse. Quitte à devoir affronter ce mercredi matin la colère et les doléances de Volodymyr Zelensky lors de leur entretien bilatéral, puis lors de la rencontre entre le chef de l’État Ukrainien et les alliés, le locataire de la Maison-Blanche a décidé, coté adhésion à l’OTAN, d’appuyer sur le bouton pause. Oui, l’Ukraine intégrera un jour cette alliance, ultime garantie de sécurité face à Moscou. Oui, sa résistance sera récompensée par une procédure accélérée d’intégration lorsque les alliés estimeront que «les conditions sont réunies». Mais pas question de donner à Kiev un calendrier qui ligoterait l’Alliance et son patron, les États-Unis.
Que Joe Biden refuse ainsi la solution «Kissinger», et qu’il tienne tête à la Pologne et aux Pays baltes, très désireux de voir entrer l’Ukraine dans l’OTAN au plus vite, n’a rien d’une surprise. Le président américain, animal politique forgé par des décennies de guerre froide, veut conserver une marge de manœuvre autonome face à la Russie, entre grandes puissances. L’ex-sénateur du Delaware, plombé par les anciennes affaires de son fils Hunter à Kiev, sait aussi qu’il doit, à la veille de la prochaine campagne présidentielle, se garder d'un engrenage ukrainien incontrôlable. La guerre en Ukraine doit donc rester, pour l’heure, une affaire militaire, dans laquelle l’OTAN met dans la balance tout le poids de son soutien logistique, de son renseignement, de ses armes et de ses équipements.
Pologne et Pays baltes
Le plus intéressant est que cet attentisme américain n’est pas ce qu’espéraient, à Vilnius, les plus solides alliés des États-Unis sur le flanc est-européen. Pour ces pays résolument engagés aux côtés de l’Ukraine, et toujours obsédés par une possible agression ou déstabilisation russe, l’élargissement de l’OTAN demeure la protection ultime. La réponse logique va dès lors être de repositionner le plus possible les troupes alliées prêtes au combat sur les frontières nord et orientales de l’Alliance, et d’exiger à nouveau de ses 31 pays membres (en attendant la Suède, «libérée» du véto Turc), une augmentation rapide de leur budget de défense.
Joe Biden «l’Européen» veut conforter ce bouclier continental dont son pays a besoin pour s’occuper davantage de la menace chinoise. Il conserve, avec la résistance de l’Ukraine et l’éventuel succès de sa contre-offensive, un levier stratégique et militaire de taille sur Vladimir Poutine. L’implacable «realpolitik», chère à Kissinger est donc tout, sauf abandonnée par Washington.