Le combat d'une Vaudoise
«Grand-maman a le droit de mourir près de nous!»

Ariane Mérillat se bat pour ramener en terres vaudoises sa grand-maman installée dans un EMS valaisan, à des heures de route de sa famille. La situation, a priori relativement simple, se révèle un vrai casse-tête administratif. Récit.
Publié: 01.11.2022 à 16:09 heures
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Dernière mise à jour: 01.11.2022 à 16:44 heures
Ariane Mérillat remue ciel et terre pour rapprocher sa grand-maman des siens.
Photo: D.R.
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Son témoignage est émouvant. Lourd, par moments. Ariane Mérillat, domiciliée non loin d’Yverdon-les-Bains (VD), se bat depuis environ une année pour que sa grand-maman, gravement atteinte dans sa santé et installée dans un EMS valaisan, puisse venir terminer sa vie près d’elle, dans le canton de Vaud.

Une démarche qui se règle en trois coups de cuillère à pot? Tant s’en faut. La jeune femme se heurte à un labyrinthe administratif et à une spécificité suisse qui fait d’ordinaire la fierté de ses citoyennes et citoyens: le fédéralisme.

Pour comprendre cette affaire kafkaïenne, il faut plonger dans le brouillard de la plaine de l’Orbe. À Chavornay, plus précisément. Nous sommes à la fin de l’année 2017. «Sur un coup de tête, mes grands-parents déménagent en Valais, à Martigny, raconte à Blick Ariane Mérillat. Ma grand-maman, Micheline, avait déjà fait plusieurs AVC et la maison qu’ils habitaient devenait trop compliquée à entretenir.»

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Durant son enfance, Ariane Mérillat était très proche de sa grand-maman Micheline.
Photo: D.R.

Elle marque une pause, le temps de choisir les bons mots: «Ils aiment tellement la montagne qu’ils imaginent alors une retraite main dans la main dans ces paysages merveilleux.» Mais Le rêve est de courte durée. Début 2021, son grand-père décède du Covid: «Pour sa femme, c’est le choc: sa santé, déjà fragile, se dégrade. Elle souffre de démence sénile et perd pied. Il lui faut rapidement des soins continus.»

A la hâte, l’octogénaire est placée dans un EMS à Saillon. «Depuis, j’essaie de la ramener sur Vaud pour pouvoir prendre soin d’elle», souffle sa petite-fille, qui s’appuie sur le site internet qu’elle a lancé pour diffuser son témoignage le plus largement possible.

Six heures de trajet pour la voir

Pour les proches, l’emplacement dudit home est loin d’être idéal. «Ma maman et ma tante vivent en France, mon oncle à La Chaux-de-Fonds (NE). Pour nous toutes et tous, il est extrêmement difficile de faire les trajets pour rendre visite à celle qui s’est énormément occupée de toute la famille pendant de longues années. Dans mon cas, c’est six heures de transports publics pour la voir trente à quarante-cinq minutes maximum. Rester plus longtemps sur place serait difficile… Elle fatigue vite.»

Selon la Vaudoise, c’est au moins trois à quatre fois par semaine que sa grand-mère devrait pouvoir voir une tête connue, notamment pour des raisons médicales. «À la place, c’est une à deux fois par mois qu’elle me voit… Je culpabilise, car je sais qu’elle manque de repères. C’est un sentiment dur à porter. Je multiplie les démarches administratives, je suis baladée d’organisme en organisme, et rien n’y fait… Je n’arrive pas à la ramener dans le canton de Vaud, où elle a cotisé et passé toute sa vie, et où résident aussi ses derniers amis encore en vie. Grand-maman a le droit de mourir près de nous!»

Qu’est-ce qui empêche concrètement l’anthropologue de «rapatrier» son aïeule? L’émission «On en parle» de RTS La Première s’est penchée sur le dossier. Vincent Matthys, directeur du Réseau santé Haut-Léman, expose le nœud du problème: le porte-monnaie de Micheline et de son entourage.

L’argent manque

Théoriquement, la retraitée pourrait déménager dans un EMS vaudois. À la condition sine qua non qu’elle arrive à financer son séjour et ses soins. Or, elle n’en a pas les moyens, les tarifs étant plus élevés en terres vaudoises qu’en Valais, analyse en substance le directeur du Réseau santé Haut-Léman. Conséquence: si Ariane Mérillat voulait compenser de sa poche cette différence, il lui en coûterait près de 2000 francs par mois, selon ses propres calculs. Une somme qu’elle ne possède pas…

Reprenons le cadre légal pour essayer de comprendre où ça coince. En Suisse, normalement, toute personne peut choisir librement son lieu d’hébergement, et donc son EMS. Toutefois, si ce choix a des effets financiers ou juridiques pour le canton d’accueil, cette libre circulation peut être limitée.

Absence de soutien politique

Une place en EMS coûte aux cantons et aux communes. C’est pourquoi, en cas de placement hors canton (ici, l’Etat de Vaud), c’est le canton de domicile qui participe aux frais d’hébergement (ici, celui du Valais, où Micheline est officiellement domiciliée depuis son déménagement à Martigny en 2017).

Selon les cas de figure, il peut en résulter des insuffisances de financement qui empêchent une personne ayant besoin d’aide financière d’être hébergée dans le canton de son choix. En clair, dans le cas d’espèce, les aides données par l’Etat du Valais ne suffiraient pas à couvrir les frais engendrés par un transfert de Micheline en terres vaudoises.

Ariane Mérillat ne baisse pas les bras. Elle a écrit au Conseiller d’Etat valaisan socialiste chargé de la Santé et des affaires sociales, Mathias Reynard, ainsi qu’à son homologue vaudoise, Rebecca Ruiz, mais sans obtenir satisfaction. «J’ai lancé une pétition parce qu’il est nécessaire que les choses changent, tonne-t-elle. J’ai envie de hurler ma rage contre un système qui m’interdit de pouvoir décemment accompagner ma grand-maman dans son deuil et sa vieillesse. Je le fais pour elle, mais aussi pour les suivants, car son cas n’est pas isolé. Des accords intercantonaux dignes de ce nom doivent voir le jour!»

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