Le Contrôle fédéral des finances (CDF) délivre un certificat déplorable au service de respect des règles du groupe d'armement Ruag. Il est question de «lacunes formelles», de «faiblesses dans le système de conformité» et de violations dans la réglementation des compétences et des signatures.
Jusqu'à présent, le CDF n'a mis en lumière que la pointe de l'iceberg, comme Blick l'a appris de plusieurs sources. Actuellement, deux autres enquêtes sont en cours, ce rapport ne sera donc pas le dernier. Ruag n'en est malheureusement pas à son coup d'essai, plusieurs scandales éclaboussent récemment l'entreprise publique d'armement.
Un personnage central de ces enquêtes est le Valaisan M. I.*, contre lequel une procédure pénale est en cours. Les procureurs l'accusent de corruption. M. I. aurait également eu des contacts avec des personnages peu recommandables, notamment au Chili.
Un homme de Pinochet comme partenaire commercial
Apparemment, Ruag faisait affaire avec un associé du dictateur chilien Augusto Pinochet, qui est responsable de la mort de 3200 personnes, l'exil de plusieurs centaines de milliers et la torture de près de 38'000 Chiliens. Ces dernières années, le business entre l'entreprise suisse et le pays d'Amérique du Sud relevait de la compétence de M.I. .
La coopération avait pour toile de fond des obusiers blindés de calibre 155 mm de production américaine, appelés M109 dans le jargon. Le Chili a acheté à Ruag un total de 24 obusiers. L'entreprise suisse avait auparavant modifié les véhicules blindés, changeant ainsi leur nom en M109 KAWEST. Le Chili entretenait un contrat de maintenance avec Ruag. Des collaborateurs de l'entreprise publique suisse se rendaient régulièrement dans l'Etat andin pour mettre à jour le matériel de guerre – et ont ainsi pu entrer en contact avec l'associé de Pinochet.
Le nom du partenaire commercial de Ruag: Sergio Hernán Espinoza Davies, âgé aujourd'hui de 81 ans. Autrefois, il faisait partie, en tant que général, des piliers du régime du dictateur Augusto Pinochet (1915-2006). Les défenseurs des droits de l'homme accusent Espinoza d'être responsable de la mort de plusieurs opposants.
Espinoza n'a pas répondu aux questions de Blick, il est innocent au sens juridique du terme. Mais les accusations portées contre lui étaient si graves que le Chili a dû le retirer en 1998 de son poste de chef du groupe d'observateurs militaires des Nations Unies en Inde et au Pakistan.
Chef d'un commando d'exécution?
Human Rights Watch accuse l'acolyte de Pinochet d'avoir jugé des opposants politiques en tant que membre de tribunaux de guerre secrets. «En octobre 1973, le tribunal d'Espinoza a condamné à mort six dirigeants socialistes à l'issue d'un procès irrégulier. Quatre d'entre eux ont été exécutés le lendemain matin», indique l'organisation de défense des droits de l'homme.
Selon un rapport du journal espagnol «El País», Espinoza aurait dirigé le commando d'exécution et aurait lui-même abattu deux hommes. Dans les médias, Espinoza et l'armée chilienne ont nié les accusations. Après avoir dû quitter son poste à l'ONU, il est devenu le numéro quatre de l'armée chilienne.
Des affaires qui duraient jusqu'en 2024!
L'histoire semble familière: la Suisse a pour mauvaise habitude de faire affaire avec les dictatures, du Chili à l'Afrique du Sud. Mais ce qui est particulièrement grave dans ce cas, c'est que la collaboration a duré jusqu'en mars 2024. Le groupe d'armement appartenant à l'Etat communique: «Ruag a mis fin à la collaboration au 31 mars 2024. Ruag a été informée en décembre 2022, par le biais du service indépendant de dénonciation, de rapports médiatiques négatifs concernant cette personne.»
Ruag aurait alors chargé les auditeurs de KPMG de procéder à une vérification. Le résultat du «background check» de décembre 2022 «n'a révélé aucun litige ni aucune violation de droit confirmée», souligne Ruag. C'est apparemment pour des raisons de réputation qu'il a été finalement décidé de ne pas prolonger le contrat.
Viola Amherd doit rendre des comptes
Le conseiller national PS Fabian Molina trouve le comportement de l'entreprise d'armement inacceptable. Le socialiste a un lien particulier avec le Chili: son père faisait partie de l'opposition à Pinochet et s'est réfugié en Suisse après 13 passages en prison. Fabian Molina exige des explications de la part de la cheffe du DDPS Viola Amherd: «Ruag est devenue totalement incontrôlable, et la responsabilité politique en incombe à Viola Amherd. Le fait que Ruag ait fait affaire avec un meurtrier présumé doit être entièrement élucidé. Un chapitre encore inconnu de la politique peu glorieuse de la Suisse à l'égard de Pinochet s'écrit à présent. Je chercherai le dialogue avec la présidente de la Confédération.»
* Nom connu