Nicolas Perrin, le président sortant du conseil d'administration de Ruag MRO, ne doit pas être très content ces jours-ci. Pourquoi? Parce que s'il n'avait pas licencié en août la PDG de l'entreprise, Brigitte Beck, les critiques seraient probablement moins vives.
Au printemps 2023, Brigitte Beck avait commis plusieurs gaffes. Elle a d'abord donné une interview à CH Media dans laquelle elle critiquait la politique de neutralité suisse. Puis, elle a menacé la rédaction de poursuites juridiques, et l'article n'a finalement pas été publié. Ensuite, elle a ouvertement contredit le Conseil fédéral lors de manifestations publiques et a appelé les États membres de l'OTAN à ne pas respecter la loi suisse sur le matériel de guerre.
Mais au lieu de réagir aux dérapages de sa PDG, Nicolas Perrin n'a rien fait pendant des semaines. Ce n'est qu'après un certain temps qu'il a mandaté un cabinet d'avocats pour examiner le comportement de Brigitte Beck. Blick a eu accès à l'expertise interne. Elle conclut notamment que la cheffe de Ruag «ignorait une part importante des bases juridiques de son activité relativement à la loi sur le matériel de guerre». Sinon comment expliquer sa demande de transmettre du matériel de guerre suisse à l'Allemagne et à l'Espagne? Les avocats nomment ça une «acceptation d'une violation de droit». De plus, affirment-ils, la gestion de crise de Ruag aurait été «insuffisante», en particulier celle de la PDG Brigitte Beck.
Succession de scandales
L'histoire ne s'est pas arrêtée au licenciement de Brigitte Beck. Les médias ont commencé à enquêter sur les relations de Ruag – et ont déterré scandale sur scandale. Ils ont par exemple découvert qu'un manager valaisan – présumé corrompu – se serait mis de l'argent plein les poches quand il travaillait pour Ruag.
Ce qui a longtemps joué en faveur du président du conseil d'administration lui est maintenant reproché: c'est le beau-frère de Brigitte Hauser-Süess, la collaboratrice personnelle de la cheffe du DDPS Viola Amherd. Pour le duo, Nicolas Perrin est devenu un problème, et il a dû partir. Or, il y a quelques semaines, il avait encore confirmé à Blick vouloir se représenter à la présidence de Ruag.
Entre-temps, Blick a appris que Heinz Liechti quitte lui aussi le conseil d'administration – cet ancien collaborateur du DDPS était jusqu'à présent vice-président de Ruag. L'entreprise d'armement refuse de prendre position sur ce départ imminent.
Mais c'est qu'il y a pire…
Ruag n'est pas non plus tranquille. Les enquêtes le montrent et le désordre qui y règne est plus important que ce que l'on pensait.
Mortier: selon un rapport interne du cabinet d'audit financier EY, le lance-mine de Ruag est dysfonctionnel. «Sur le mortier suisse, il a été remarqué qu'un pas de vis se détachait à l'utilisation, il se situe dans la zone de la tête de fermeture», écrivent-ils. «Si ce pas de vis se détachait également sur le produit omanais, cela pourrait faire intervenir la garantie de Ruag. Il n'est pas encore certain si les têtes de culasse doivent être remplacées sur les mortiers déjà livrés». Un contact de Blick au sein de Ruag commente en disant que «si les mortiers devaient être remplacés, cela coûterait très cher». Ruag ne souhaite pas s'exprimer sur le cas et fait savoir que «le document cité est obsolète et n'est plus d'actualité».
RIO: Ruag s'offre la Ruag Innovation Organisation (RIO), qui coûte 13 millions de francs par année. Officiellement, cette plateforme «rassemble les idées et les produits innovants». Elle doit aider l'entreprise à «gagner de nouveaux clients, à développer des modèles d'affaires alternatifs et à s'établir sur d'autres marchés». En interne, elle est considérée comme un filon pour Ruag. Notre insider affirme que «RIO n'a pas de focale claire et pas de positionnement dans l'écosystème de l'innovation de l'armée». RIO serait surdimensionné et fonctionnerait comme une taskforce passant à côté de tous les niveaux de la hiérarchie. Selon nos informations, l'unité sera directement dirigée par Heinz Liechti, vice-président sortant du conseil d'administration.
Crise au sein du conseil d'administration: ses membres ne semblent pas arriver à travailler ensemble. Bien que la membre du conseil Elisabeth Bourqui soit en poste depuis longtemps, Ruag ne sait toujours pas quoi dire d'elle sur son site web: «Mises à jour à venir» lit-on. Officiellement, le groupe d'armement est fier que trois des six membres de son conseil d'administration soient des femmes. Pourtant, il semble que leur expertise dans le secteur de l'armement ne soit pas toujours représentée. «Le conseil d'administration s'immisce beaucoup trop dans les thèmes opérationnels et paralyse le management», critique notre contact chez Ruag. Ce dernier n'a pas souhaité s'exprimer sur ces reproches.
25 chars Leopard 1 rouillent dans le nord de l'Italie
Qu'est-ce qui va se passer maintenant? La cheffe du DDPS Viola Amherd doit non seulement trouver un nouveau président pour Ruag, mais aussi son vice-président. On parle de Monica Duca Widmer, membre actuelle du conseil d'administration. Le fait qu'il s'agisse d'une femme joue en sa faveur. Par contre, l'argument principal contre sa nomination est le fait qu'elle fasse partie de l'establishment de Ruag et qu'elle n'a pas réussi à y faire le ménage jusqu'à présent.
Le nom de Jakob Baumann est cité par des observateurs extérieurs: l'ancien divisionnaire a été chef de la planification de l'armée, puis est devenu chef de l'armement et enfin directeur du domaine départemental Armasuisse au DDPS. Auparavant, Jakob Baumann était membre du conseil d'administration de Ruag; avec sa nomination en tant que chef de l'armement, il a quitté cet organe.
Mais un problème embarrassant dont Ruag doit s'occuper le plus rapidement possible: les 25 chars Leopard 1 qui rouillent dans le nord de l'Italie. L'entreprise allemande GLS avait acheté ces véhicules anciens à Ruag – mais le groupe suisse prétend avoir annulé le contrat. Un tribunal italien a donné raison à GLS. Ruag a fait appel.