L'imbroglio autour de Ruag n'en finit pas. Des ventes de chars ratées, une stratégie commerciale contestée et des compétences peu claires au sein de l'organisation... Depuis le départ de sa cheffe Brigitte Beck, la nouvelle direction est en phase de transition: le président et son adjoint sont aujourd'hui sur le départ, eux aussi.
Bref: le chaos règne depuis des mois chez Ruag. La ministre de la Défense Viola Amherd, qui endosse une partie des responsabilités de l'entreprise publique, n'a jusqu'à présent pas réussi à y ramener le calme. Ce sera désormais la mission du nouveau chef de l'entreprise: Ralph Müller, l'ancien CEO du fabricant d'électronique lucernois Schurter.
Ce dernier se veut optimiste. Dans le premier entretien qu'il a accordé à la «Handelszeitung» début mars, le dirigeant est clair: il veut «que Ruag soit à nouveau perçue par le public comme une entreprise industrielle et technologique innovante».
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Un chef avec une expérience dans la défense
Ralph Müller semble avoir le costume taillé pour le poste. Avant ses débuts chez Ruag, il a travaillé pendant 19 ans chez Schurter, en tant que responsable d'un secteur de la défense. L'entreprise fabrique de l'électronique pour les avions et les satellites.
Mais si l'homme connaît le secteur, il se voit aujourd'hui confier ce que l'on appelle une mission impossible chez Ruag MRO, une entreprise publique. Il doit acquérir de nouvelles affaires, tout en traitant l'armée suisse comme client principal pour l'entretien, la réparation et la révision du matériel de l'armée. En même temps, Ruag doit être un partenaire industriel avec des connaissances en ingénierie pour les entreprises privées. Mais les bénéfices iront au DDPS. C'est ce que veut le Conseil fédéral.
Le modèle ne fonctionne pas
L'armée, les professionnels de l'armement, les industriels et presque tous les experts de la branche parviennent à la même conclusion: le modèle de Ruag MRO ne fonctionne pas.
Premièrement, parce que les exportations d'armement depuis la Suisse tirent la langue depuis les deux dernières années. Or si, pour inverser cette tendance, Ralph Müller met en place de nouvelles affaires avec des entreprises partenaires suisses et étrangères, il s'éloignera de sa mission principale et se tournera davantage vers des clients privés que vers l'armée.
Des affaires supplémentaires – au-delà de la maintenance et de la réparation de chars et d'avions – sont pourtant nécessaires pour que Ruag puisse développer des compétences et être un partenaire industriel pour les fournisseurs. Ne serait-ce que pour pouvoir être considérée comme une entreprise de coopération dans le cadre de grandes acquisitions d'armement: «C'est important que Ruag dispose d'une plus grande liberté d'entreprise et que la Confédération la soutienne dans son action entrepreneuriale. Ce n'est qu'ainsi que Ruag pourra remplir sa mission», déclare Matthias Zoller, secrétaire général de Swiss ASD, une organisation de Swissmem dans le domaine de la technique de défense.
Deuxièmement, un homme issu du secteur privé – sans historique politique et ne parlant pas le langage de l'armée – parviendra-t-il à refaçonner Ruag?
Entre affaires et politique, un jeu d'équilibriste
Ralph Müller vient de l'entreprise familiale Schurter, dans laquelle il avait la réputation d'être un collaborateur loyal, qui s'entendait bien avec les propriétaires, partageait leurs valeurs et se souciait du personnel. Autant de qualités que ses compagnons de route lui reconnaissent. Lorsque la société Capvis a racheté Schurter en 2023, il n'a pas voulu soutenir la démarche des nouveaux investisseurs. Il est parti, ne partageant plus les valeurs dans l'entreprise.
Mais chez Ruag, «la tâche de CEO est peut-être encore plus complexe que dans d'autres entreprises», prévient une porte-parole, qui ajoute: «Outre la dimension commerciale, les aspects politiques ou sociaux peuvent être tout aussi importants.» Ce que confirme un homme de l'industrie militaire suisse: «L'armement est une activité différente de l'économie privée ordinaire.»
Dans le milieu, on s'attend donc déjà à ce que le nouveau CEO soit sur la corde raide: «On est plus un politicien qu'un directeur, c'était entre autres le problème de sa prédécesseuse Brigitte Beck», explique un initié.
C'est la raison pour laquelle Brigitte Beck a eu besoin d'un accompagnement et d'un soutien étroits de la part d'anciens officiers de carrière et de commandants de corps pour se lancer dans les affaires. Comme Müller, elle avait également une longue expérience dans l'industrie, occupant des postes de direction chez ABB et au sein de l'entreprise énergétique BKW. Elle a néanmoins fait l'objet de critiques après ses déclarations publiques sur la politique de neutralité, dans lesquelles elle voulait obtenir plus d'affaires pour Ruag.
C'est désormais le défi qui attend Ralph Müller aujourd'hui, dans un contexte où l'ancienne patronne a dû quitter son poste en raison d'affaires douteuses et dans une entreprise que le Contrôle fédéral des finances a qualifié d'«insuffisante» il y a trois semaines. Bref; la tâche s'annonce ardue.
Amherd, elle, se tient en retrait
Jusqu'à présent, la cheffe du département Amherd ne s'est guère exprimée sur les exigences parfois contradictoires posées à Ruag, comme si l'entreprise devait régler ses problèmes toute seule. Et en cas de questions sur les exigences pour le chef de Ruag MRO, le DDPS rétorque: «L'occupation du poste de CEO est de la responsabilité du conseil d'administration.»
Certes, c'est juridiquement vrai, mais le conseil d'administration n'a aucune obligation de maintenir Müller à la tête de Ruag si celui-ci ne l'a pas nommé, sauf en cas d'avis contraire d'Amherd. Le président du conseil d'administration de Ruag MRO est en effet élu par le Conseil fédéral, dont Amherd fait partie. Le processus de sélection est donc placé sous la responsabilité du DDPS, qu'elle dirige.
Ainsi, le DDPS prend déjà ses distances avec le nouveau CEO avant même que celui-ci n'ait vraiment commencé. Ralph Müller, lui, prend déjà les choses au sérieux et consacrera ses premiers jours à améliorer l'image de Ruag pour en faire de l'entreprise un acteur industriel et technologique innovant: «Nous le devons à nos collaborateurs et à nos clients» conclut-il.