Existe-t-il meilleur endroit que la Riponne pour parler du problème du crack à Lausanne? La quantité du dérivé de la cocaïne repérée dans les eaux usées de la capitale vaudoise surpasse celle d'autres villes réputées pour leur consommation de ces cristaux.
Après Paul*, qui cuisine à domicile, et Wil, qui raconte comment il a commencé, Blick a récolté un troisième témoignage d'adepte de la pipe à crack. Fait assez rare tant elles semblent invisibles dans le milieu de la drogue, il s'agit de celui d'une femme: Laure*.
Ce lundi 17 juin, cette Valaisanne de 48 ans à la maigreur frappante se présente comme «une consommatrice qui a un pied dedans, un pied dehors». Au sens où elle ne consomme plus régulièrement de crack et qu'elle vient de partir du centre-ville pour habiter «à la campagne» avec son compagnon. «On prenait du crack deux à trois fois par semaine. Maintenant, on a arrêté. Mais on se fait quand même des lignes de coke de temps en temps.»
Pas de travail sous crack
Comme d'autres habitués de la Riponne, Laure a un vécu de polytoxicomanie — l'addiction à plusieurs substances en même temps. Avant la cocaïne et le crack, ce fut l'héroïne. Puis son opioïde de substitution, la méthadone. «Pour moi, ç'a été pire d'arrêter la méthadone que l'héro, raconte Laure. Mais c'est un peu grâce à la méta que j'ai pu aller bosser pendant vingt ans.»
Dans sa vie, la quadragénaire indique avoir eu «des bons boulots», notamment au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Pour la cocaïne, il n'existe pas encore de substitut. Elle détaille: «Si tu fumes du crack, c'est même pas la peine de penser à aller bosser. Tu peux pas travailler, tu peux pas assurer.»
En connaissance de cause, elle résume la problématique du crack par le sentiment de «surpuissance» qu'il procure: «Si l'effet dure dix secondes, tu peux être content! La première taffe, tu vas bien la sentir. Mais après, ça diminue vite. Le problème des gens ici (ndlr: à la Riponne), c'est qu'ils fument taffe sur taffe, jusqu'au moment où ils ne sentent presque plus rien.»
Lausanne, ville d'insécurité
Pour Laure, Lausanne est la «pire ville de Suisse» et «part en lambeaux»: «J'ai habité et bossé à Berne, Bienne ou Zurich et je connais bien Genève. Pourtant, je ne me suis jamais sentie autant en insécurité qu'à Lausanne, même en pleine journée.»
Elle explique avoir vécu une grave agression en 2013. «Le soir, quand tu viens à la Riponne, tu dois soutenir le regard des gens et ne jamais baisser la tête. Sans cette attitude, t'es la victime et t'es foutue.»
Pour expliquer cette violence du milieu, elle observe — au même titre que les deux premiers témoins de Blick — que les prix de la cocaïne ont récemment baissé: «Maintenant, on trouve des boules et des 'taffes' de crack à 10 francs. Ça me choque, parce que cette somme, elle se mendie en cinq minutes!»
Laure remet aussi en question la qualité du produit proposé par les dealers: «Je ne sais pas ce qu'ils mettent dans la coke. La coupe est différente d'il y a quinze ans.» L'effet addictif de la substance a pris l'ascenseur, selon la femme aux cheveux blonds. «Lausanne devient Genève, au niveau du crack en particulier», assène encore la connaisseuse.
À la Riponne pour faire de l'argent
Ce jour-là, malgré toutes ses critiques à l'égard de Lausanne, Laure se trouve bien parmi la vingtaine d'usagers marginalisés, assis sous la bâche — le fameux «string» — qui les protège du soleil. Elle justifie sa présence: «Je me suis cassée la figure et je suis venue voir mon médecin à Lausanne. Après, je ne vais pas le cacher, je suis venue à la Riponne pour faire de l'argent.»
Pour illustrer son propos, elle sort discrètement de sa poche une tablette de médicaments. Un camarade lui demande un cachet. Laure lui répond sèchement qu'il a «déjà pris un truc pour trois balles avant». Elle s'excuse pour cette interruption d'interview: «C'est la vie ici. T'es obligée d'avoir une carapace et d'être une autre personne, parce que si tu montres de la gentillesse, c'est un signe de faiblesse.»
Fuir pour retrouver l'appétit
Contente de son déménagement récent, elle espère refaire sa vie loin du lieu symbolique de ses addictions. «Mon copain et moi, on habitait à deux pas de la Riponne. Dès qu'un pote passait à la maison, il arrivait avec une boule. On s'est rendu compte qu'on était obligés de partir.»
À la campagne, elle s'étonne que les gens leur disent bonjour: «Ça nous donne le smile, on adore ça. Aussi, on n'arrête pas de manger.» Le crack est connu pour détourner les consommateurs de la nourriture, d'où l'image de maigreur associée à cette drogue. «Mon copain a un gros bidon, mais moi j'ai plus de mal à reprendre du poids», conclut Laure avant de partir au bras de son chéri.