Assis sur l’un des socles en béton du «string», Wil dégage une tranquillité à toute épreuve. La chaleur est suffocante, ce lundi 17 juin sur la Place de la Riponne à Lausanne. Après Paul*, qui cuisine et consomme son crack à domicile, Wil est le second fumeur de ces «cailloux» qui accepte de témoigner pour Blick.
Ce père de famille de 44 ans se dit «surpris» que le crack a pris «autant d’ampleur» dans sa ville. Les analyses des eaux usées sont formelles, la capitale vaudoise est — à égalité avec Coire et devant Zurich et Genève — la ville où la consommation de ce dérivé de la cocaïne est la plus élevée.
Accro dès la première fois
Wil commence le crack à 40 ans: «Je connais toutes les drogues depuis que j’ai 18 ans, mais à chaque fois qu’on me proposait le crack, je refusais.» Mais le décès d’un de ses enfants l’atteint psychologiquement. «J’étais pas bien. J’ai dit à un pote: 'fais-moi une grosse, grosse taffe'. Ce jour-là, j’ai pris un flash inimaginable.»
C’est le problème majeur du crack, la sensation addictive est très rapide. «Dès le moment où j’ai goûté, je suis tombé dedans», confirme Wil. Sa vie change d’un seul coup et la cocaïne cristallisée y prend une place considérable. De quoi l’empêcher «de faire beaucoup de choses bien». Pour Wil, le crack n’est «pas la meilleure des drogues» et est «presque pire que l’héro».
Il en liste les effets négatifs: «Tu claques tout ton fric, tu deviens agressif et il y a souvent l’alcool qui vient avec. En plus, il n’y a pas de substitut.» Un tel produit de remplacement — qui existe pour l’héroïne — permettrait aux dépendants du crack d’entamer une procédure de sevrage. Se sortir de ce fléau est «hyper mental», se désole notre témoin.
Un besoin irrépressible
«Régulièrement, j’ai des cravings», continue Wil en évoquant ce besoin irrépressible qui pousse les consommateurs de crack à errer dans la ville à la recherche de leur dose. «Des fois, je fume un gramme ou deux dans la journée, calcule notre témoin. Et d’autres fois, je passe une semaine sans consommer, voire dix jours.»
Actuellement en arrêt maladie de son travail, Wil dit avoir «recommencé à faire le con»: «Je m’emmerde, alors je passe pas mal de temps à la Riponne. Mais quand je bosse, je gère ma vie. Le vendredi, c’est le soir où j’aime acheter ma coke et cuisiner mon crack.»
Tous des «peace and love»?
En montrant ses phalanges tatouées du cercle symbolisant la paix, Wil se définit comme un «peace and love». Un qualificatif qu’il étend à «toute l’équipe d’anciens» qui parsème la partie gauche du «string».
Plus loin, il désigne du regard des éléments perturbateurs, qui «foutaient la merde» jusqu’à il y a peu. «Ça partait franchement en cacahuète ces derniers temps, concède le quadragénaire. Il y avait de la baston tous les jours, et ça sortait même le couteau ou les bouteilles cassées.»
Mais de son point de vue, l’ambiance s’est calmée. «Maintenant, ça va beaucoup mieux. Je ne sais pas s’ils se sont fait recadrer par les flics ou si c’est depuis que la salle a ouvert il y a un mois.»
Salle de shoot, la solution?
La nouvelle salle d’injection, installée aux abords de la Riponne, facilitera-t-elle la vie de certains addicts? «Ouais… Ce qui craint, c’est les horaires, soupire Wil. Le dimanche, c’est fermé. Alors que c’est le pire, quand les gens rentrent de boîte.» Il fait le tour du poteau sur lequel il est appuyé et retrouve l’endroit où sont affichés les horaires d’ouverture du local de consommation — de 15h30 à 21h30 les six premiers jours de la semaine et le matin de 7h00 à 12h00, seulement du mercredi au samedi.
Après y être allé quelques fois, Wil voit «quand même du bon» dans cette salle de shoot: «Avant de juger quelque chose, il faut le voir. Les intervenants viennent du Passage (ndlr: l’autre lieu d’accueil de la Fondation ABS), donc on les connaît tous. Il y a toujours de la bienveillance. Mais bon, je trouve que ça fait un petit peu trop hôpital.» Un autre consommateur intervient dans le témoignage de son camarade, et s'adresse à nous: «Ouais, tu devrais l’essayer! Tu veux quoi? Deux grammes?»
Le «string» n’est que la face visible
Pour Wil, les jours de la consommation sous le «string» sont comptés: «Ça fait des années qu’ils parlent de démonter cet endroit, donc ça va bien arriver un jour.» Ce n’est pas pour autant que le Lausannois se réjouit de l’éventualité d’un déplacement plus près de la nouvelle salle d’injection. «Ça déplace juste le problème des toxicos, c’est tout. Il y a 100 personnes qui passent ici par jour, minimum. Ce serait comme cacher la merde aux chats, comme on dit.»
Mais selon lui, le «string» n’est que la face visible de la consommation de crack à Lausanne: «Je connais énormément de gens qui consomment cachés. Il y a beaucoup de clubbeurs, même des chefs d’entreprise. C’est hallucinant à quel point c’est partout.» Son pote interrupteur de conversation revient à la charge. Wil tire sur le joint que ce dernier lui tend et suit ses traces. Au loin, tous deux disparaissent dans la bouche de métro.
*Prénom d’emprunt