Accompagnée de sa sœur, Hélène*, la maman de Bénédicte* a accordé une interview à Blick vendredi 28 juin, à Lausanne. Alors que la fillette a fêté son premier anniversaire le 30 mai dernier, elle vit toujours placée dans un foyer d’urgence vaudois. Si les diverses Cours de justice ont validé ce placement en institution très médiatique, le Tribunal fédéral et des experts ont vivement recommandé d’élargir le droit de visite de la mère, en fréquence et en durée. Objectif: permettre le lien affectif entre elles, très important pour le développement du bébé.
«Je peux la voir deux fois une heure en semaine, ainsi que les samedis et dimanches de 10h à 18h, nous décrit Hélène. On m’a même diminué en juin d’une demi-heure la durée en semaine sur le prétexte que le lieu actuel pour ces visites n’est pas adéquat pour plus de temps.» Il s’agit d’une structure cantonale spécialisée dans la médiatisation et l’accompagnement de visites destinées aux enfants et aux parents ne pouvant se rencontrer sans la présence d’un professionnel.
Tout savoir sur l'affaire
Celle-ci est financée par la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ). Si la fillette semble bien aller actuellement, la mère et la tante disent redouter qu’elle souffre d’un trouble affectif de l’attachement en raison du placement en foyer peu après l’accouchement prématuré au CHUV fin mai 2023.
Syndromes d’une carence affective
«Elle n’essaie pas de marcher, elle ne rampe même pas, comme l’ont constaté des experts. Elle ne paraît pas réaliser en présence de qui elle est, de reconnaître les gens, même moi», s’inquiète Hélène, qui pointe du doigt l’absence cruelle de la figure maternelle imposée à Bénédicte. Certains, comme le médecin retraité et ex-conseiller aux États libéral Eric Rochat ainsi que la tante de Bénédicte, docteure en neurosciences, parlent du syndrome d’hospitalisme.
Soit un état dépressif avec régression physique et psychique qui se manifeste chez certains enfants séparés précocement de tout lien d’affection. Le Dr Gaillard l’a d’ailleurs formulé dans un certificat médical.
Avertie de cela, la directrice de la DGEJ, Manon Schick, en prend note dans un courriel du 26 juin. Elle souligne cependant que ceci est contredit par des «rapports établis par d’autres médecins ayant examiné Bénédicte, lesquels ont certes constaté un retard de développement mais en aucun cas n’ont considéré qu’elle souffrirait d’hospitalisme.»
Ces avis contradictoires ont été transmis à la Juge de Paix, qui devra se prononcer après une nouvelle expertise psy sur Bénédicte. De son côté, la maman dénonce: «Les autorités m’ont enlevé mon enfant. Tout cela est grave, cruel, et celle qui en souffre le plus, c’est Bénédicte. Elle en gardera peut-être des symptômes à vie!»
«Rupture de confiance avec la famille»
Autre source de colère. Comme le foyer actuel n’est prévu que pour des cas d’urgence et que les autorités n’envisagent pas de rendre la fillette à Hélène ces prochains mois, la directrice Manon Schick a annoncé par courrier fin juin que Bénédicte doit changer de structure d’accueil ce mois-ci. «Alors que tout est prêt chez moi pour l’accueillir enfin, on va encore lui faire subir des changements de personnes dans un nouveau foyer. Est-ce recommandé vu ce dont elle souffre?», s’indigne Hélène.
Dans son courrier du 11 juin, Manon Schick la met poliment en garde: «Les attaques incessantes sur les réseaux sociaux contre le foyer actuel, les informations mensongères et diffamatoires diffusées, de même que la procédure pénale en cours contre le foyer, la DGEJ et le CHUV pour des faits contestés ont provoqué une rupture de confiance entre le foyer et votre famille. Dans l’intérêt de Bénédicte, je vous prie de bien vouloir collaborer avec le personnel du nouveau foyer et de vous abstenir de diffamer leur travail.» Il est aussi proposé de faire appel au Bureau cantonal de médiation administrative pour tenter «d’initier et de développer un dialogue plus apaisé, dans l’intérêt supérieur de Bénédicte.»
Nous avons sollicité la DGEJ pour tenter de mieux comprendre le contexte et à quoi devait s’attendre une famille à qui il est annoncé qu’elle a perdu la confiance des autorités. En raison du secret de fonction, la Direction générale fait savoir qu’elle ne peut «répondre aux médias. Les termes employés dans le courrier auquel vous faites référence y sont explicités.» Quant à la mère, elle y voit une forme de «chantage» de la part de la DGEJ.
A propos de la mère justement. Dans son arrêt en février, le Tribunal fédéral retenait que le psychiatre de liaison avait relevé un «ralentissement psychomoteur, une pauvreté du discours et de réflexion chez la mère de Bénédicte». Un trouble de la personnalité est soupçonné. La Justice de Paix et la DGEJ se fondent sur cela pour justifier le fait de ne pas lui rendre son bébé, avec l’intérêt supérieur de l’enfant comme mantra.
«Je ne suis diagnostiquée ni alcoolique, ni toxicomane, ni atteinte d’une maladie, alors pourquoi me prive-t-on de ma fille?, rétorque la maman. On me reproche de ne pas avoir réussi à établir une complicité avec mon enfant, mais on m’en empêche.» Elle évoque aussi le rapport d’un expert qu’elle avait mandaté: il certifiait ses compétences pour s’occuper de son bébé.
«Une part d’arbitraire acceptée en Suisse»
Mandaté par la famille de Bénédicte pour attaquer la Suisse auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, le controversé avocat français Fabrice Di Vizio s’apprête à déposer sa requête à Strasbourg d’ici au 11 juillet, date butoir. Les griefs principaux retenus? Ingérence disproportionnée dans la vie privée familiale, ainsi que violation du principe de proportionnalité et du droit au procès équitable.
L’homme de loi nous a répondu. «Je pense qu’il existe une part d’arbitraire absolument majeure, mais que tout le monde semble accepter en Suisse. Les décisions de placement d’enfants y sont systématiquement validées par les juridictions», déclare-t-il.
*Prénoms d’emprunt