L’annonce avait fait grand bruit il y a un an, presque jour pour jour: contrainte de se serrer la ceinture pour des raisons financières, la RTS sabrait directement dans son cœur de métier. Alors qu’elle avait plutôt privilégié les coupes structurelles jusqu’ici, l’entreprise de service public touchait pour la première fois à sa sacro-sainte offre de programme. Dans de grandes largeurs: elle biffait son émission économique «Toutes Taxes Comprises» et faisait passer son rendez-vous de débats d’actualité «Infrarouge» à un rythme bimensuel dès 2023.
«Avec ce rythme toutes les deux semaines, nous pourrons développer les débats interactifs avec le public sur le numérique», se justifiait voilà douze mois le directeur de la RTS, Pascal Crittin. Surprise: comme l’a appris Blick, l’entreprise a décidé de rétropédaler, douze mois plus tard. «L’émission Infrarouge va bien se poursuivre à un rythme hebdomadaire», confirme Thierry Zweifel, directeur du département Stratégie et Programmation.
Alexis Favre «très content»
Comment justifier ce retour en arrière? «Cette décision a été prise au terme d’une réflexion en profondeur sur nos soirées du mercredi, explique le cadre de la RTS. Au final, nous avons trouvé une solution bien plus dynamique que la piste esquissée il y a un an.»
Le premier concerné, le producteur d'«Infrarouge» Alexis Favre, est forcément satisfait de cette issue heureuse. Contacté par Blick, le présentateur de l’émission depuis 2017 se dit «très content pour la qualité du débat public, si important dans un pays démocratique».
Fort bien, mais une première question s’impose: si la RTS ne coupe plus dans «Infrarouge», où compte-t-elle réaliser les économies promises? «Nous travaillons à plusieurs niveaux, notamment sur les modes de production», explique Thierry Zweifel. Comprenez: la chaîne est parvenue à sauver son offre sans victime collatérale. Selon certaines indiscrétions, c’est un certain apaisement budgétaire récent qui aurait maintenu le rythme hebdomadaire d'«Infrarouge».
Ce n’était qu’une «réflexion»
Reste que la rhétorique utilisée peut surprendre. D’après le directeur du département Stratégie et Programmation, le passage de l’émission à un rythme bimensuel n’était qu’une «réflexion menée l’an dernier pour pouvoir remplir les engagements en matière d’économies». L’annonce avait pourtant été faite dans un touffu communiqué de presse en bonne et due forme. Les mesures prises étaient même jugées «inévitables» par Pascal Crittin, le grand patron de la RTS. Si tout cela n’était en réalité qu’une «réflexion», pourquoi ne pas avoir attendu avant de communiquer, dès lors que le délai (2023) ne pressait pas?
Ce premier coup de sabre dans l’offre avait d’ailleurs eu un fort retentissement, tant dans la tour genevoise qu’au sein du landerneau politique romand. «On coupe dans les programmes alors que l’on continue de dépenser des sommes considérables pour la superstructure, comme le siège de Berne dont le budget équivaut à celui de la RTS», soufflait une employée à Blick.
L’annonce de ce régime minceur avait – c’est suffisamment rare pour être souligné – fait l’unanimité parmi la députation romande à Berne. Et personne n’était content. «La RTS se trompe de cible. Elle touche ici au cœur du service public, au noyau dur de ce qui doit être financé par la concession», glissait Christian Lüscher (PLR/GE) à Blick. «'Infrarouge' une semaine sur deux, ça met à mal le rôle de la RTS», abondait Valérie Piller-Carrard (PS/FR). La Vert’libérale genevoise Isabelle Pasquier-Eichenberger appelait même «à regarder si l’argent public est bien dépensé», tant «Infrarouge» est «importante pour le débat démocratique».
Un timing anodin, vraiment?
«Hasard du calendrier, écrivions-nous voici un an, ces nouvelles interviennent un jour après une déclaration d’intention de la part de l’UDC et de milieux apparentés de lancer deux initiatives populaires: l’une pour une redevance à 200 francs au lieu de 365 (et exonérant les entreprises), l’autre s’attaquant à la «composition idéologique des rédactions».
Hasard du calendrier (bis), le présent article intervient quelques jours après le lancement officiel d’un texte sournoisement baptisé «Initiative SSR». La récolte des signatures a commencé mardi sur la Waisenhausplatz à Berne, à quelques encablures du Palais fédéral. Le comité d’initiative est composé essentiellement de membres de l’UDC, dont plusieurs Romands.
Faut-il y voir un lien de cause à effet, une mesure destinée à calmer une classe politique dont la RTS aura cruellement besoin pour lui épargner la cure d’austérité massive réclamée par l’UDC? Thierry Zweifel est catégorique: «Notre choix [concernant «Infrarouge»] n’a rien à voir avec le lancement de cette initiative. Le débat politique est au cœur de notre mandat de service public.» C’est précisément cette dernière phrase qui met la puce à l’oreille.
Selon nos sources, il y a derrière cette «solution bien plus dynamique que la piste esquissée il y a un an» un contexte autrement plus sensible politiquement. Certains élus n’auraient que peu goûté à la décision de la RTS d’affaiblir le grand raout politique hebdomadaire alors qu'«Infrarouge» incarne, peut-être mieux que n’importe quelle autre émission, l’essence même du service public. Mais c’est surtout dans les hautes sphères de la maison mère, la SSR, que ce retour en arrière trouverait ses origines.
Si le maintien de l’émission de débat du mercredi à un rythme hebdomadaire ne surprend pas (et ne fâchera personne), il en est autrement pour l’annonce de juin 2021. Rétrospectivement, tout indique que la direction de la grande maison médiatique romande avait dégainé trop tôt et mal maîtrisé sa communication. Ne dit-on pas que les cordonniers sont les plus mal chaussés?