Le système de santé suisse serait une oasis de bien-être. C'est du moins ce que clame une infirmière allemande quand elle décrit ses conditions de travail en Suisse. Sabine Schröder est soignante spécialiste en anesthésie. Elle exerce depuis 2022 dans les soins intensifs de la ville de Bâle. Quand elle compare son quotidien actuel avec celui qu'elle avait en Allemagne, le constat est sans appel: «J'ai l'impression que le mot stress n'existe pas en Suisse», ose-t-elle.
Une vision utopique?
Cette déclaration haute en couleurs ne fait toutefois pas l'unanimité au sein de la communauté soignante suisse. Nombreux sont les infirmières et infirmiers à avoir réagi à cette vision quelque peu utopique et déconnectée de la réalité du système de santé suisse.
«L'appréciation de notre collègue allemande est surprenante et ne doit pas être généralisée», prévient Yvonne Ribi, directrice de l'Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) dans un entretien avec Blick. La Thurgovienne de 45 ans rappelle qu'il existe aussi des situations précaires en Suisse. Il arrive par exemple qu'une infirmière et un auxiliaire soient responsables à eux seuls de 20 patients au sein d'un service de chirurgie. Il ne faut en aucun cas tirer des conclusions d'un service spécialisé comme l'anesthésie dans lequel l'infirmière allemande travaille. Un rapport fixe s'impose entre les patients et le personnel soignant dans un tel service pointilleux, contrairement aux services d'étages, aux maisons de retraite et aux soins à domicile.
Pas assez de personnel formé
En réalité, les choses semblent plutôt se gâter dans le système de santé suisse. Des études et des enquêtes montrent clairement que la charge de travail est extrêmement élevée dans le secteur des soins. Trop de personnes délaissent la profession et partent en arrêt maladie pour burn-out. «Il n'y pas assez de personnel formé pour couvrir les besoins effectifs du secteur», se désole Yvonne Ribi.
Christina Schumacher est infirmière dans un hôpital bernois. Elle tenait aussi à réagir à la description fantasmée de Sabine Schröder. «Ce n'est pas parce que la situation est pire ailleurs que tout va bien en Suisse.» L'infirmière bernoise aime son travail, mais elle déplore aussi les côtés négatifs de cette profession de passion: le stress, le manque de pauses et l'impossibilité de prendre suffisamment de temps pour les aspects humains de son activité, pourtant essentiels. «Il en faudra encore beaucoup pour que la situation dans le secteur de la santé soit aussi belle que celle présentée par Madame Schröder», admet Christina.
L'Allemagne n'est pas beaucoup plus mal lotie
Yvonne Ribi remet aussi en question l'énorme décalage décrit par l'Allemande avec le système de santé de son pays natal. Selon Sabine, c'est le jour et la nuit. Dans l'absolu, il est clair que les salaires en Suisse sont beaucoup plus élevés. Mais la différence entre les deux pays n'est pas telle qu'on pourrait le croire: «Si l'on mesure les salaires dans les soins infirmiers au salaire moyen national, la Suisse se trouve à la troisième avant-dernière place, et l'Allemagne dans la moyenne», explique la responsable de l'association.
Et ce n'est pas tout: «Si nous regardons le nombre d'infirmières et d'infirmiers par habitant, l'Allemagne se situe devant la Suisse.» De plus, les compétences d'action des infirmières sont plus étendues en Suisse qu'en Allemagne, ce qui implique davantage de responsabilités.
D'après Yvonne Ribi, l'Allemagne a «beaucoup investi dans les soins» au cours des dernières années. Aussi, de moins en moins de personnes quittent l'Allemagne pour la Suisse. Dans la région de Bâle notamment, il est clair «que l'attractivité de la Suisse pour les frontaliers a diminué». La pénurie de personnel qualifié dans le secteur de la santé n'en est que renforcée.
L'initiative sur les soins se met en place
Yvonne Ribi ne craint toutefois pas que les déclarations de l'infirmière allemande déforment la perception du secteur suisse de la santé. «Les chiffres et les preuves sont parlants.» Selon elle, il est inadmissible de déduire l'état d'une branche à partir du vécu d'une seule personne. De nombreuses personnes font quotidiennement l'expérience de la pénurie de personnel qualifié, et ce parce qu'elles dépendent de prestations de soins difficilement accessibles.
Toujours est-il que la mise en œuvre de l'initiative sur les soins infirmiers se met gentiment en place. Mais le système de santé suisse est malheureusement encore loin de la situation paradisiaque décrite par Sabine Schröder.