La «neutralité active» de la Confédération
L'étrange tabou du Palais fédéral

De Christoph Blocher à Micheline Calmy-Rey, de nombreuses personnalités politiques invoquent les bons offices de la Suisse et défendent bec et ongles sa neutralité. La politique étrangère du pays est considérée comme intouchable. Pourquoi?
Publié: 13.03.2022 à 08:52 heures
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16 juin 2021: Guy Parmelin (2e à partir de la droite) et Ignazio Cassis (à droite) reçoivent le président russe Vladimir Poutine (2e à partir de la gauche) et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (à gauche) à Genève.
Photo: EPA
Reza Rafi

Lorsque Christoph Blocher et la classe politique qu’il méprise sont d’accord, la prudence est de mise. Il en va de même pour les soi-disant bons offices de la Suisse.

Ce slogan politique a le vent en poupe dans le débat actuel sur la neutralité. Dans tous les partis, on évoque le rôle de médiateur international du pays. Le doyen de l’UDC craint que la Suisse ne «sacrifie» ses bons offices en adoptant les sanctions contre la Russie. Son parti l’invoque comme argument contre des mesures financières punitives à l'encontre du Kremlin.

Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a quant à lui rassuré le Parlement cette semaine avec le soutien du PLR, du centre et de la gauche: les bons offices sont possibles malgré l'application des sanctions. Mais nombre de ses diplomates tremblent à l’idée d’une perte d’importance de la Suisse. Au sein de l’administration, une querelle fait rage sur l’impact négatif de sa place sur la liste des «États inamicaux» de la Russie. Une étrange alliance entre la droite, la gauche et les employés de l’État met pour ainsi dire tout un domaine politique sous protection. Et l’on ne peut s’empêcher de se demander comment on en est arrivé à ce culte.

Une question d'image et de prestige

L’été dernier, Vladimir Poutine et Joe Biden se sont rencontrés à Genève. L’évolution du monde aurait-elle été différente s’ils s’étaient alors parlé à Helsinki? Bien sûr que non. Tout est une question d'image et de prestige; pour un ministre des affaires étrangères, pouvoir annoncer un «sommet de la paix» fait partie de ses moments de gloire. Les bons offices n’ont qu’un rapport limité avec le sacrifice désintéressé, sinon, il n’y aurait pas de concurrence internationale. Les Scandinaves sont en tête, Berne et Vienne y figurent sans surprise, et depuis peu, Singapour et l’Arabie saoudite sont en concurrence.

En Suisse, se vouloir comme place principale des traités de paix était sans doute aussi liée à une forme de mauvaise conscience: pendant longtemps le pays a servi de coffre-fort aux despotes et n'était pas membre de l'ONU. Ce défoulement moral est à nouveau visible aujourd’hui avec l’UDC: nous sommes neutres et laissons les Russes tranquilles. Nous faisons de la médiation dans ce but.

La fonction de la Confédération est exagérée

Celle qui a particulièrement reconnu et renforcé l’impact public de la «neutralité active» est l’ancienne cheffe du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) Micheline Calmy-Rey. L’image de son apparition avec un sac à main sur la ligne de démarcation coréenne en 2003 avait fait le tour du monde.

Parfois, la fonction de la Confédération est exagérée. Dans l’après-guerre, il y a deux mandats de puissance protectrice historiquement pertinents: à Cuba et en Iran.

Aujourd’hui, le principal interlocuteur occidental de Vladimir Poutine n’est pas le représentant d’un pays neutre, mais Emmanuel Macron, président de la France, puissance nucléaire de l’OTAN. La Turquie montre à quel point les relations internationales sont volatiles: jeudi, les ministres des Affaires étrangères de la Russie et de l’Ukraine se sont rencontrés à Antalya. En 2015, les forces aériennes turques avaient abattu un avion de combat russe pendant la guerre en Syrie. Aujourd’hui, le pays est considéré comme neutre par le Kremlin, car il ne soutient pas les sanctions adoptées par une grande partie du reste du monde.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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